C'est Nisse qui me
demande de parler davantage de mes soeurs et de mon frère Verner. Verner , mon
aîné de deux ans, n'était pas favorisé d'arriver dans ce monde en tête de
quatre frères et sœurs, un rôle ingrat dont nous ne nous sommes jamais rendu
compte, à vrai dire. Irène est née en 1913, Verner en 1906. Ma mère, Emma, d'un
dévouement familial incroyable, travaillait du matin au soir pour tenir ses cinq enfants propres
et "bien élevés", et je crois qu'elle ne s'est jamais offerte la
moindre distraction, ni cinéma, encore moins le théâtre - et le restaurant
était pour elle et les enfants "un endroit où l'on boit (trop) de
brännvin"...
Verner et moi sommes
entrés au Lycée de Jönköping en même temps et dans la même classe, et nous
avons fait chemin ensemble jusqu'au bac le 6 juin 1925. Le lendemain, il
partait au service militaire à Karlskrona. Je n'ai jamais compris pourquoi il
était classé "marin". Enfin, avec des yeux faibles, il est devenu
"scribouillard à la Marine Royale" - tandis que le "petit
William", pas encore 17 ans, était envoyé dans une ferme près de Bunn, un
lac charmant à 25 km de Jönköping, grâce à l'intervention de mon école. Logé,
nourri et sensé travailler un peu à la ferme. A une autre ferme se trouvait un
autre "student" - et le soir, nous étions libres pour faire du
bateau, ramasser des écrevisses (!) ou jouer des jeux innocents avec d'autres
jeunes voisins.
Je suis tombé
discrètement amoureux d'une très jeune étudiante en pension à Bunn - mais j'ignore
encore ce jour si mes sentiments étaient unilatéraux... Début août, retour à
Jönköping pour commencer à une école (mixte) de Commerce, une toute petite
école privée et bon marché. Le Patron était le seul enseignant, il prisait
régulièrement du tabac à priser, et il éternuait ! Je crois que nous étions
cinq élèves dont deux filles. L'enseignement était NUL... mais cela m'a
toujours servi de "référence" d'avoir fréquenté UNE ECOLE DE COMMERCE
! Qui en dehors de ma ville, pouvait savoir ce que c'était "Ohlssons
Handelsskola" ?
Je suis parti à Paris,
seul et presque sans argent, et je n'ai pas mis longtemps pour m'apercevoir que
ma place de "volontaire" à la Chambre de Commerce Suédoise de Paris
ne valait rien - et je n'avais aucune valeur pour cette Institution très snob
(à l'époque). Ensuite commence la spirale d'emplois pour ne pas mourir de faim.
Verner était revenu à
la maison après quinze mois de service "militaire". La Suède
subissait un chômage terrible, les Universités et les Hautes Ecoles fermaient
les portes pour limiter l'affluence vers les métiers libéraux, pas d'embauche
nulle part ! Les industries licenciaient - et l'Etat créait du travail de
dépannage à gauche à droite, par exemple fabriquer du macadam à la main ! Quel
massacre des mains ! Enfin, Verner a trouvé deux élèves en math et anglais,
deux enfants d'une famille juive marchande de vêtements. Mais lorsqu'il a
demandé un acompte, la réponse était invariablement "Demain vous pourrez
choisir une belle cravate dans notre magasin...", autrement dit il était
toujours roulé et ne devait jamais défendre ses intérêts. Pas question de
trouver un emploi à Jönköping - et en désespoir de cause, ma mère m'a écrit
pour que je trouve pour Verner un emploi à Paris. J'avais quitté Dormeuil
Frères et j'ai proposé Verner comme "successeur" ce qui a été
accepté. Verner avait de très bonnes connaissances "dictionnaires",
et il pouvait passer des heures à chercher des définitions ce qui était
totalement inutile pour son travail et le retardait beaucoup. Le pire c'est
qu'il voulait souvent "défendre" son choix de traduction vis-à-vis de
son cher Monsieur Meyer, un sportif du Racing pour qui seul le résultat du
travail chez Dormeuil comptait ! D'où frictions, disputes - j'ai été convoqué
une fois chez Dormeuil pour sauver la place de Verner mais cela n'a pas duré
longtemps. Il ne POUVAIT pas comprendre pourquoi la vie pratique était plus
importante que les finesses d'un dictionnaire - et le pire, il manquait
totalement de la souplesse indispensable devant un CHEF - "UN CHEF A
TOUJOURS RAISON MÉMÉ QUAND IL A TORT !".
Comble de
"bonheur", Verner tombe amoureux
d'une jeune fille de Pantin - et bientôt Renée annonçait qu'elle
attendait un enfant...
Pauvre Verner, il était
très tôt un érudit mais sans aucun sens pratique. Antisportif, il n'entrait
jamais dans ma "bande de sportifs suédois à Paris", il était heureux
- je le crois vraiment - avec Renée, il s'enfermait dans des recherches de
"racines d'expressions" et d'autres "études" aussi inutiles
dans la vie d'un jeune pauvre. A son retour en Suède, il a encore travaillé
comme "enseignant pour des enfants retardés". Et il s'est toujours
fait posséder. Finalement, un camarade du Lycée lui a donné un petit travail à
la Banque de Suède à Stockholm, et sa dernière grande passion (ou première ?)
était un chien énorme qui n'aimait que son maître et avec qui il passait
presque tout son temps libre. Peu de temps après sa retraite, il est mort.
Et
les trois soeurs ?
Ethel et Milly ont fait
l'école communale, Irène le Collège du fait qu'à ce moment, la situation
financière de la famille s'est améliorée un peu. Ethel a fait une petite école
dentaire et a trouvé une place à Hörby où elle a également trouvé son premier
mari, Sven Fogelberg, avec qui elle a eu deux enfants, Leif et Anita. Sven
avait un bon emploi en "import-export" - mais il est mort à cause
d'une tumeur au cerveau, opérée une première fois mais revenue... Elle s'est
remariée avec Rolf Fundgren décédé en 1985. Une femme d'un très grand courage -
mais le soleil n'a pas toujours brillé sur sa vie. Au moment où j'écris ces
"Mémoires", Ethel est malade mais avec peu d'espoir pour les deux
années à venir...
Milly a toujours été
"rondelette". Elle aimait les bébés et plaisait
"instinctivement" à tout le monde. Pas très courageuse, ni
intelligente mais avec une grande facilité de s'adapter aux circonstances ce
qui parfois vaut mieux que d'être très intelligent. Elle avait beaucoup d'amis
- en toute innocence ! - mais ne se gênait pas pour sortir avec un ami et rentrer
avec un autre ! Bonne cuisinière pour les desserts mais peu intéressée par un
travail quelconque. Epouse Ake Hakansson, sa copie masculine... Pas d'enfants.
Ake mort vers 1978. Une vie plate, sans le moindre souci économique, dans un
égoïsme assez marqué. Irène était notre cadette, bonne sportive (saut en
longueur, surtout). Plutôt dure de caractère, sans sentiments pour la famille.
Epouse Stig Zetterberg, un "espoir" dans le groupe
"Allumettes", très intelligent. Un enfant, une belle fille avec un
caractère très agréable mais probablement peu heureuse avec sa maman...
A la mort de ma mère
Emma, la famille s'est divisée en deux clans, CONTRE mon père Anders
(Irène-Milly-Verner), POUR (Ethel et moi-même), et malheureusement (c'est une
constatation trop tardive !) personne n'a jamais voulu prendre le premier pas
vers une conciliation. La cause ? Mon père était le seul héritier (normal) et
avec cela, il était un solitaire peu adapté à une vie calme.
Lorsque je réfléchis à
ma famille de Jönköping, c'est avec des sentiments très mélangés. Ma mère avait
été forcée d'élever cinq enfants souvent près de la famine et elle a réussi
quelque chose d'admirable. Peu à peu, la situation s'est améliorée - mon père
n'a pas hésité à faire la mer en pleine guerre - mais lorsqu'il est rentré
"pour de bon", la famille n'était plus SA FAMILLE. Maman avait su
s'occuper de tout TOUTE SEULE pendant de nombreuses années difficiles.
D'accueillir tendrement un mari "indépendant" et pas du tout
"souple" était au-dessus des forces réciproques. Mais l'armistice est
arrivée comme toujours lentement et plutôt froidement - même si mon père dans
son coeur avait un fond de tendresse pour Emma, une tendresse qu'il était trop
"timide" ou "primitif" pour exprimer... sauf à la mort de
Maman. Trop tard...
Mais il ne faut pas
juger cette situation avec nos yeux de 1988 - tout était différent il y a 50
ans. Les "modestes" devaient se taire en tout ! Il aurait fallu - une
phrase facile... ! - des voisins amis mais les pauvres n'ont pas de fréquentations...
On s'enferme avec sa misère - et avec ses sentiments. Des vacances ? Mais à
cette époque, on avait droit à une semaine ou plutôt à LA semaine de Midsommar,
avec ou sans pluie. Pas question "d'aller en vacances" - pas
d'argent. Mes grand parents étaient aussi pauvres et habitaient loin, loin pour
le porte-monnaie.
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passé à une douzaine
d'hommes et femmes qui ont vraiment fait quelque chose pour l'Humanité
(Pasteur, Mme Cury, oui je cherche la suite sans trop d'espoir...)
Enfin, ne soyons pas
pessimistes. La vie n'est pas facile - mais quand je pense que j'ai vraiment
commencé à zéro, tout-à-fait en bas de l'échelle, comme "volontaire"
à la Chambre de Commerce sans même savoir répondre "Hallo" au téléphone,
ensuite comme "guichetier à une banque où mon travail consistait à
multiplier tant de couronnes suédoises par le cours fixé par la Banque, déduire
dix pour cent pour la Banque et remettre ma fiche à la caisse. Du matin au
soir. Chez Dormeuil, rue Vivienne, le travail était quand même plus varié comme
traducteur et chez SKF, j'ai appris que... "LE CHEF A TOUJOURS
RAISON"...
SILVA a été la fin de
ma vie "active", une belle expérience parmi des gens essentiellement
sympathiques.
Pourquoi regretter mes "imperfections" ? J'aurais voulu devenir un
"ingénieur civil" mais où trouver le temps et l'argent pour des
études supérieures ? Si j'avais pu rester à FLÄKT Stockholm, on ne m'aurait pas
refusé d'étudier tout en travaillant à la condition que "ça puisse servir
la Société..." mais j'avais ma petite famille à laquelle je tenais
énormément, j'avais mon sport, j'avais surtout mes engagements comme petit
journaliste sportif à Idrottsbladet et un certain nombre de journaux de
Provence, un "truc" qui rapportait pas mal d'argent dont nous avions
besoin car FLÄKT Jönköping m'a embauché - il a profité du fait que j'étais sans
emploi ! - à un tarif vraiment bas. Heureusement que les circonstances m'ont
aidé assez rapidement pour une vie modeste mais sans problèmes.
J'aurais voulu apprendre
à bien jouer au tennis, mais, bêtement, je ne voulais pas prendre de leçons,
probablement parce que je trouvais que c'était trop cher ! Ma nature économe !
Plus tard, j'ai voulu apprendre à jouer au golf mais... j'ai toujours reporté
le début... Ce que j'ai regretté de pas savoir chanter, encore moins jouer un
instrument quelconque ! Heureusement que Colette est entrée dans ma vie avec
ses dons !
Le sport m'a donné beaucoup de
satisfactions à une période difficile où les jeunes déraillent facilement.
Notre groupe n'était pas du tout des "abstinents" - mais le fait
d'avoir un match le dimanche, freinait en principe les excès le samedi. Et - il
faut bien dire la vérité, n'est-ce pas ? le manque d'argent ! Nous sortions
rarement en bande - dans une ville énorme comme Paris, j'avais deux heures de
métro et tram pour aller à Ivry-Port (SKF) et autant pour le retour, ce qui
réduisait la semaine à "boulot-métro-dodo". Un jour j'ai acheté un
vélo d'occasion - mais "on" m'a fait comprendre que ce n'était pas
"comme il faut" pour un employé chez DORMEUIL de venir en vélo et
avec casquette sur la tête... DORMEUIL, LA MAISON MONDIALE !
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Verner et son
"petit frère Wille" passaient huit années ensemble au Lycée de
Jönköping. Au début, nous avions à prendre le train local Bankeryd-Jönköping,
et tous les mois, Maman avait à trouver les deux fois dix couronnes, non cinq
cour. Parfois, nous ne pouvions pas payer au premier du mois, et deux fois, le
chef du train nous a expulsé à Tranghalla... et nous avions à rentrer à pieds
les cinq kilomètres restants... Mais un autre "chef" était plus
humain et se contentait de nous gronder. Au Lycée, nous avions certaines années
des "subventions" de vingt cinq couronnes, toujours bienvenues même si
ces subventions nous classaient dans la catégorie des "pauvres mais
méritants". Nous étions de bons élèves, moi en math et sciences modernes,
Verner en histoire et langues modernes. Mais Verner voulait souvent chercher le
"pourquoi des mots" tandis que moi, j'étais pressé de faire mes
devoirs pour pouvoir taper dans le ballon avec des gamins qui, plus tard,
allaient former Jönköpings Södra IF. On jouait entre les arbres dans une petite
vallée et bien entendu sans arbitre... Verner a fait quelques essais mais avec
des lunettes il n'avait vraiment pas de réussite.
Parmi les mauvais
souvenirs du Lycée figure - la gymnastique à cause du professeur, un officier
de réserve, antisport mais "garde-à-vous", copiant ses leçons sur un
style militaire déjà périmé, un style que j'ai retrouvé en 1928 à Eksjö lors de
mon service militaire, rigide et basé surtout sur "l'angle des pieds à
60°". Dans notre classe au Lycée, il y avait tout de même déjà 2-3 espoirs
d'athlétisme - et ils se retrouvaient en queue de peloton... avec mon frère et
moi. De temps en temps, notre officier ordonnait "visite des pieds" -
et toutes les familles n'avaient pas de salle de bains - pour nous, le cabinet
était dans le grenier et sans eau - ce qui fait que l'officier dans une joie sadique
faisait aligner une bonne douzaine d'élèves vraiment "pieds noirs".
Une fois l'un des deux fils riches présentait des pieds très noirs - mais notre
officier ne les faisait pas "parader" sous prétexte que... les
chaussettes avaient coloré... J'ai rencontré cet officier bien plus tard le
lendemain d'une réunion d'athlétisme où j'avais gagné le javelot et la hauteur
- mais il n'a pas voulu me reconnaître... mais il parait qu'il était "un
timide" en civil...
A l'époque, donc vers
1920, il existait au Lycée une différence de considération entre élèves de
parents riches et pauvres. Dans notre classe, certains professeurs étaient
invités dans les quatre familles riches - un fabricant de bière, un haut
magistrat, un colonel et cultivateur ayant fait son beurre pendant la guerre -
et même si ces camarades étaient doués, les professeurs évitaient avec
délicatesse des "colles". A notre age, on n'y pensait pas trop - à
l'époque.
Un seul a failli
devenir ministre mais il avait mal choisi son parti politique.
BRAHEGATAN 63 Villa
TORPLYCKAN
Cet achat, réalisé
surtout par ma mère, était un tournant dans notre vie familiale. A Jönköping,
notre premier logement était à Lödöse, un bâtiment en cinq étages. Propriétaire
JMW où mon père travaillait pendant quelques années comme contremaître. Toute
la maison n'était que du personnel (surtout ouvrier) de JMW, et les querelles
entre clans et familles ainsi que des scènes (le samedi !) d'ivrognes étaient
normales. Verner et moi étions les seuls enfants à aller au Lycée où le port de
la casquette spéciale était obligatoire. Des bandes voisines nous guettaient
parfois mais les batailles étaient courtes. Lödöse n'avait pas une très belle
réputation dans la ville - et il était hors de question d'inviter des copains
du Lycée. Les habitants de Lödöse n'invitaient pas... et personne n'y allait.
Ensuite, nous avons
habité à Trädgardsgatan, déjà beaucoup mieux, mais Maman trouvait, avec raison,
et elle a fini par trouver un pavillon "dans les faubourgs Sud", une
belle petite maison de deux étages. Le rez-de-chaussée était composé de deux
petits appartements loués, le premier étage était libre pour nous. Que de
problèmes pour Maman pour joindre les deux bouts ! Une banque nous a aidé
suivant la coutume suédoise - mais il fallait payer les intérêts tous les
trimestres ! Rien n'était moderne, les cabinets dans la cour, un chauffage
rudimentaire etc. Après des années, nous avons pu occuper également le
rez-de-chaussée et Maman a décidé d'installer des W-C sur les deux étages ainsi
que des salles de bains. Quel luxe pour nous !
C'était assez loin du
Lycée mais tant pis. Et bientôt, nous avions même un chien, un boxer DICK - au
début nous étions obligés d'avoir un locataire d'une pièce et lorsqu'il nous a
quittés, le chien est resté avec nous, à notre grande joie.
Je ferme ici les
souvenirs plus ou moins clairs.
Est-ce un bien d'avoir
atteint 80 ans ? Oui si l'on peut se retrouver parmi les siens, sans avoir eu à
pleurer la perte d'un enfant ou petit-enfant. Et de voir que même si chacun a quelques
problèmes financiers à résoudre, personne n'est "dans le besoin". Et
notre merveilleux voyage de luxe aux Etats-Unis restera un des plus beaux
souvenirs que l'on puisse s'offrir !
Mon premier souvenir
bien vivant de mon enfance ?
C'est probablement une
attente dans un grenier où mon frère aîné Verner et ma soeur cadette Ethel se
sont cachés avec moi pour échapper à trois "femmes en furie" qui
crièrent "... mais où sont-ils donc, les sales mômes qui ont troublé notre
eau ?" Ma mère est sortie sur le palier avec sur ses bras la petite soeur
Irène et en tenant à la main ma deuxième soeur Milly - mais Maman ne pouvait
rien dire car elle nous croyait dans un champs en train de jouer à la Marelle.
Inutile de dire que
nous avons été punis, assez durement d'ailleurs, car à cette époque, c'était
vers 1913, la punition corporelle faisait partie de l'éducation normale et de
la vie familiale...
Pourquoi ce souvenir
domine t-il ? Qui le sait !
La famille était mon
père, Anders Nilsson (puisque fils de Nils Andersson) Stalbrand, ma mère Emma
Bengtsson (elle aurait pu s'appeler Bengtsdotter puisqu'elle était la fille de
Bengt Svensson), mon frère Verner né en 1907, moi-même né en 1908, Ethel née en
1910, Milly née en 1912 et Irène née en 1913. Une famille de cinq enfants, oui,
c'était normal pour l'époque, une époque sans Assurance Sociale ni Sécurité
Sociale. Les riches restaient riches, une classe à part, les pauvres (comme
nous) restaient pauvres, très souvent à cause des enfants en grand nombre qu'il
fallait nourrir, habiller, envoyer à l'école communale où les enfants des
riches avaient certains privilèges, par exemple de ne pas être
"obligés" d'apprendre les devoirs et de ne jamais être punis par de
mauvaises notes. Ceci était encore plus marqué à l'école "Lycée" où
l'annuaire des élèves donnait toujours "Métier du père"...
était né pauvre, un des
dix enfants d'un petit métayer dans le Sud de la Suède (Nosaby près
Kristianstad). Il était sûrement "surdoué" ce qui n'était pas bien
toléré à l'époque pour un enfant pauvre. A la maison, il n'y avait qu'un livre,
la Bible, et à huit ans il avait déjà appris par coeur plusieurs chapitres. Le
maître d'école s'en est aperçu et a persuadé les parents (= le père puisqu'à
l'époque la femme n'avait pas voie au chapitre !) de s'engager dans la marine.
Mon père était un
matheux - et il l'est resté jusqu'à l'age avancé. Il a réussi à entrer dans une
école de la Marine après avoir été graisseur, aide-mécanicien,
ouvrier-mécanicien - à l'époque c'était vraiment une vie de chien de travailler
"en dessous du pont" et dans une crasse terrible pour nous en 1983 !
- il a pu suivre des cours et sortir premier d'une école formant des
"machinistes", un titre transformé plus tard, beaucoup plus tard, en
"Ingénieur Marine".
Les lois disaient bien
que pour un navire restant en mer plus d'une semaine, il fallait trois équipes
complètes non seulement pour la navigation mais aussi pour les machines. Mon
père m'a affirmé qu'en quarante années de service marine, les équipes n'ont
jamais été complètes... Il fallait donc s'habituer à travailler quatre heures,
dormir quatre heures, travailler quatre heures, dormir quatre heures,
travailler quatre heures, dormir quatre heures et cætera pendant parfois cinq à
huit semaines pour les longs voyages.
Mon père ne m'en a
jamais parlé. Nous pouvons toutefois supposé que l'on devient une brute
"mécanique" et que lorsque le navire ancrait par exemple à Boston,
tout l'équipage jeune se précipitait dans les quartiers du port à la recherche
d'alcool - et de ce qu'il appelait "des aventures galantes". La vie
du marin de long cours est une vie dure, monotone, très très mal payée dans le
temps. Depuis, tout s'est amélioré, heureusement, mais "l'amour de la mer"
reste un mythe romantisé et même glorifié... Enfin, lorsque mes parents
parlaient de "métiers pour les enfants", mon père était catégorique -
TOUT SAUF LA MER !
où je suis né en 1908.
A la maison, comme tous les pauvres de l'époque. Les cliniques étaient réservés
à la haute bourgeoisie couronnée par la baronne von Essen, propriétaire du seul
château régional HELLIDEN, un domaine d'héritage depuis l'époque où un
chevalier "ayant bien servi son roi" recevait quelques villages ou
même départements entier en "récompense". A part la famille Essen,
notre ville de Tidaholm avec ses six milles habitants avait une douzaine de
familles acceptées au château de Helliden. Le directeur de la seule industrie
(fabrication d'allumettes), le (seul) quincaillier. Le directeur de l'école, le
propriétaire du petit journal local, les deux médecins, le pasteur, un
"docteur ès sciences" qu'il fallait appeler "Doktor
Svenonius" parce qu'il avait passé vingt années de sa vie à l'université
de Lund où il était inscrit à trois facultés sans avoir réussi à passer un
degré aussi minime soit-il. On racontait dans la ville qu'à l'ouverture de
chaque saison académique, il s'installait au premier rang, habillé en redingote
et à la fin du premier cours, il se présentait au professeur en disant
"... je suis le candidat Svenonius et nous pourrions nous retrouver ce
soir pour une bouteille de "punch..." Effectivement, à partir de 15
heures, Svenonius était "parqué" à "sa" table où il recevait
les hommages des jeunes étudiants. Il était d'une famille riche, mais le
conseil de famille avait décidé qu'il ne pouvait toucher que les intérêts de
son capital personnel ce qui limitait un peu les libations sans pour cela
activer les "études". Mais à 40 ans, brusquement, il avait abandonné
Lund et l'université un premier mai, ayant provoqué un scandale national par un
discours "à titre de vétéran de cette boite infecte qui ne comprendra
jamais à l'immensité de mon niveau intellectuel".
Le changement
consistait surtout en un changement de décor - à partir de 15 heures, il
s'installait régulièrement à "sa" table de Stora Hotellet à l'idaholm
et c'est le Directeur lui-même qui prenait toujours sa commande - comme s'il ne
savait pas d'avance que c'était invariablement un filet de hareng, deux verres
de schnaps (alcool suédois) et une bière forte, suivi d'une omelette aux
champignons et un café avec une petite bouteille de punch. Il n'exerçait aucun
métier mais se vantait de poursuivre ses études très supérieures... Il était
très respecté en ville - et un sujet inépuisable de bavardage dans une petite
ville sans histoire.
J'ai oublié un
personnage important -MONSIEUR LE CHEF DE GARE SIWERS. Il avait une belle
casquette galonnée rouge, toujours un manteau bleu foncé, une canne avec une
grande pomme luisante "pour arrêter le train si jamais les signaux normaux
ne fonctionnent pas !" La casquette ne le quittait jamais de la journée,
et sa manie était de se promener en ville et vérifier toutes les pendules et
même l'horloge de notre église. Un homme distant - vous pensez qu'il était tout
de même responsable du départ à la seconde de quatre trains par jour, et il
n'avait jamais pris de vacances. Son fils Georges avait trois ans de plus que
moi et était automatiquement notre chef de bande.
MES PARENTS ONT
DEMENAGE
mais pour nous, les
enfants, c'était moins bien. Dans la cour, il y avait une brasserie et ma mère
me mettait toujours en garde contre les "buveurs". Il y avait aussi
un vétérinaire dans la maison ce qui m'a mis en contact très tôt le monde des animaux domestiques.
Ma mère Emma avait été
très très jolie et gardait des traits fins jusqu'à la fin de sa vie. Née en
pleine campagne, neuvième de onze enfants habitant une fermette sans confort.
L'école communale, bonne à tout faire dès l'age de douze ans. Rencontre mon
père et se marie, peut-être pour échapper à la tristesse d'épouser un ouvrier
agricole et travailler dix huit heures par jour et mettre au monde un enfant
par année dans une certaine indifférence du voisinage. Pourtant, sa mère a réussi
une ambition - d'élever le niveau de vie de sa famille, de donner une bonne
éducation à tous les enfants, souvent sans argent, sans aide.
Une Maman
extraordinaire. Nous aurions du lui dire tous les jours combien nous
l'aimions... mais nous ne l'avons pas fait... avant sa mort. Il paraît que
c'est la vie...
se passaient toujours à
la maison - nous n'avions vraiment pas d'argent pour voyager et les billets de
famille n'existaient pas 8 Pensez donc - s'ils n'ont pas d'argent, ils n'ont
qu'à rester à la maison, disaient les bourgeoises après avoir été à la messe...
Mais mon frère et moi
avons pourtant fait une excursion ! Le livreur de bière a proposé un jour d'été
à Maman "... la semaine prochaine, je vais livrer à vingt kilomètres d'ici
dans une carrière calcaire et je pourrais peut-être emmener les deux
garçons..." Quel événements dans notre vie ! Voyager, aller loin, voir
quelque chose d'inconnu, passer une journée entière loin de la maison
familiale... Une voiture à cheval, même à deux chevaux...
Pour moi, c'était une
aventure merveilleuse. Sortir de ma petite ville pour la première fois, me
rendre compte qu'il existe aussi la vraie campagne où l'on cultive le blé et
les pommes de terre, visiter une carrière, manger des sandwiches (des
smörgasar) préparés par ma mère - et revenir fatigué mais très content...
Nous étions toujours
pauvres. Maman nous "tondait la crâne" et coupait les cheveux de mes
trois sœurs. On se passait les vêtements au mieux. En été, nous étions nu-pieds
ce qui était normal. On mangeait surtout des pommes de terre et souvent des
harengs, le poisson le moins cher. Parfois le dimanche, on pouvait se partager
une banane en trois bouts ou une orange en cinq. Et à tour de rôle, on aidait à
la maison. On n'était jamais très malheureux ?
Pour Noël, nous avions
chacun un - mais un seul - cadeau et nous étions tous contents. Peut-être parce
que c'était comme ça, la vie modeste ?
commençait. Il parait
que j'étais doué - en tout cas, après six mois, on m'a mis d'office dans la
classe au-dessus, sans problèmes.
Le grand changement
était la première Guerre Mondiale. C'était très très dur pour Maman surtout,
avec cinq enfants à nourrir avec nos cartes de rationnement. En 1916, mon père
a obtenu un meilleur travail à Jönköping, nous avons déménagé à Bankeryd, un
village à douze kilomètres de Jönköping, un village totalement dominé par le
propriétaire d'une grosse ferme, Attarp, et le Maître des Ecoles, plus le
Pasteur de la vieille école, dominateur, cruel condamnant tous à l'enfer si
l'on ne respectait pas l'Evangile et l'Eglise protestante. Je crois que je n'ai
rien appris pendant une année dans cette école "rétro" - si, comment
on nettoie les jardins du Maître d'Ecole et ceux du Pasteur et comment on
plante des arbres pour les gros propriétaires, amis de l'instituteur. Les
punitions pleuvaient - sur les pauvre. Matin et soir, mon frère, ma soeur Ethel
et moi avions quatre kilomètres à faire à pied dans chaque sens, parfois sous
la pluie ou sous la neige. Une fois que j'avais les pieds totalement trempés,
l'instituteur m'a fait savoir sur son ton accusateur "... si ton père
était capable de gagner un peu plus d'argent, il pourrait t'acheter des
bottes..."
La famille Stalbrand
n'était pas bien vue à l'école. Peut-être parce que nous étions des
"immigrés", peut-être parce que mon père travaillait à l'époque dans
une usine, peut-être parce que nous n'étions pas des "piliers de
l'église" - que sais-je ?
Un jour Maman a pris
une décision très importante. Elle est partie en ville (à Jönköping) et
pourtant elle était aussitôt malade dans le train, même pour vingt cinq
minutes, elle s'est renseignée au Lycée des conditions d'admission de ses deux
fils - et malgré l'avis défavorable du Maître d'Ecole local, elle nous a
inscrit à un cours préparatoire pour entrer en "sixième" d'une durée
de quatre semaines en plein été. Après une semaine, les professeurs ont
conseillé "tout au moins pour l'aîné" de tenter l'entrée en
cinquième, et finalement nous avons réussi tous les deux notre premier
"concours".
Pour moi, à peine neuf
ans et très petit pour mon âge, c'était probablement d'aller trop vite. En
classe, j'avais vraiment des difficultés pour les "compositions en
suédois" ayant "sauté" l'année de base où l'on apprend tout
doucement ce que c'est par exemple le nominatif et le substantif et les formes
de verbes - mais j'ai eu de la chance d'être bon en "math" et de bien
apprendre mes devoirs en histoire et géographie. Mais j'étais un an ou deux plus
jeunes que mes camarades de classe - et jusqu'à mon bac, cette
"maturité" m'a manqué dans le contact entre camarades.
UN DERNIER SOUVENIR DE
TIDAHOLM
"Les gosses
Stalbrand" jouaient dans un champ à environ cent mètres de notre logement.
Au milieu du champ, il y avait un caniveau plein d'eau. Verner, Ethel et moi
étions en train de faire un canal - sans faire attention à la petite Milly,
tout juste deux ans. Je vois encore mon père arrivé comme une locomotive...
pour retirer Milly par les pieds du caniveau. Il avait vu la petite glisser, la
tête en avant, de notre fenêtre - et il est arrivé à la dernière seconde pour
la sauver de la mort.
Non, encore un souvenir
de l'eau. Nous étions une petite bande de gosses de quatre à huit ans jouant
suivant l'inspiration des "chefs". La baignade était une distraction
favorite, la rivière Tidan traversant comme il se doit Tidaholm
("holm" = île). Un jour mon frère Verner glisse sur le fond glaiseux,
pousse des cris et on ne voit que les bras lorsqu'il saute pour attraper un peu
d'air. Je me précipite, bêtement, et nous voila tous les deux Stalbrand enlacés
et avec de l'eau par-dessus nos têtes. Mais le courant nous pousse vers une
partie moins profonde - et sans rien comprendre, nous avons pieds et pouvons
sortir de l'eau, tous tremblants. Inutile de dire que nous n'avons rien dit à
la maison... mais Maman l'a su quand même par une voisine dont le fils était
avec nous !
A Tidaholm, une de nos
distractions favorites et interdites ! était de grimper sur les troncs d'arbres
stockés par milliers pour les besoins de l'Usine Allumettière. Les gardes nous
faisaient la chasse... et un jour, en courant pour me sauver de leurs mains, je
tombe entre les rails du train transportant toute la journée des troncs. Le
train poussait les wagons lentement... j'étais là... un bras sur un rail sans
me rendre compte, probablement "sonné" par la chute... un garde
pousse un hurlement... je retire instinctivement le bras - les roues passent...
le train s'arrête... et je me sauve le plus vite possible... sans même penser à
remercier le garde !
Il y a quand même un
Ange gardien pour les enfants !
REVENONS AU LYCEE DE Jönköping
Mon père avait fini par
accepter le fait (accompli) de voir ses deux fils au Lycée - "mais
seulement jusqu'à quinze ans, après ils chercheront du travail...". Les
études avançaient, nous avons même touché deux ou trois fois une subvention de
vingt cinq couronnes comme "élèves studieux et nécessiteux" et nous
avons eu notre bac, tous les deux en même temps.
Malgré ma petite taille
- on m'appelait "le petit Wille" jusqu'à mon bac ! - le sport
m'attirait, c'est à dire le football. Je n'avais pas d'équipement... mais
"un grand" avait promis de me vendre ses chaussures contre cinq
couronnes. Mais où trouver cinq couronnes dans une famille qui ne pouvait même
pas prendre le "tram" pour aller en ville ? Eh bien, Maman - toujours
elle ! - m'a fait embaucher à douze ans pendant les vacances comme
"déballeur de verres" avec un salaire horaire de 0,15 couronnes la première
semaine et 0,25 la deuxième. Je crois que j'ai touché en tout trente sept
couronnes et une centaine de petites coupures à tous les doigts ! Mais Maman
m'a donné mes cinq couronnes transformées le jour même en une vieille paire de
"godasses", quatre pointures trop grandes pour mes petits pieds. Mais
un supporter de l'équipe locale a eu pitié de moi et m'a fait l'échange contre
une paire un peu petite mais quand même... J'étais fier !
PARLONS SPORT
d'autant plus que les
Sports ont souvent marqué ma vie. J'ai fait du foot où j'aurais pu devenir bon.
J'ai fait de l'athlétisme. Et j'ai tâté presque tous les autres sports mais
sans acquérir une réputation "mondiale". J'ai même été arbitre
international de handball avec comme petite spécialité les "derbies".
Tout cela est oublié depuis longtemps... J'ai créé des fédérations régionales
de marche (!), de handball et d'orientéring. J'ai organisé des épreuves (avec
"mon" journal comme premier profiteur !) en marche et en orientéring
- mais j'ai surtout été pris dans les engrenages des clubs et des fédérations,
une activité qui vous donne surtout des soucis, des ennemis et des crampes à
l'estomac... Les meilleurs souvenirs sont attachés à mes vingt ans parmi les
copains de la Société Sportive Suédoise à Paris, un petit club animé par un
grand dirigeant et ami. Nous avions du mal à trouver, tous les dimanches, onze
joueurs mais la camaraderie était telle que même malades, on était là pour les
copains. Parfois c'était de la folie de jouer un match de foot sous la pluie et
avec trente neuf de fièvre mais nous étions jeunes et bien soudés ensemble.
J'AI UNE TENDANCE AU
PASSER
trop vite à ma
"vie moderne". Revenons encore en arrière.
De Bankeryd, la famille
a déménagé à un HLM à Jönköping (LÖDÖSE) où tous les locataires étaient en
guerre entre eux d'une façon plus ou moins permanente, à peu près comme c'est
le cas sans tous les HLM. Tous les samedis soirs, la distraction pour nous
était d'attendre le retour de Tobias, un ivrogne périodique (tous les samedis
!). Tobias était terriblement fort et nous nous racontions avec délice qu'une
fois Tobias avait battu quatre agents de police qui voulaient l'arrêter pour
ivresse publique. Depuis la consigne de la police était de laisser Tobias
Zigzaguer jusqu'à la maison. C'est là que nous l'attendions... Les gosses sont
parfois stupides et cruels. Nous savions que Tobias dans son état d'ivresse ne
pouvait pas courir plus de trois-quatre mètres avant de trébucher et c'était ce
que nous voulions voir... Arrivé devant son HLM, sa pauvre femme, alertée par
le bruit et habituée à la scène hebdomadaire, sortait, criait "Tobias,
t'es ivre-mort, rentre..." et ensuite "... sales mômes, foutez le
camp, sinon...". Tobias rentrait - mais cinq minutes plus tard il jetais
sa femme dehors, menaçait de nous casser tous - et ensuite il s'endormait... et
nous n'avions qu'à rentrer chez nous et faire nos devoirs d'école.
Dans notre HLM, nous
avions deux autres alcoolistes hebdomadaires. Un soudeur qui le samedi mettait
sa vieille jaquette, vidait une demi bouteille d'aquavite et se dirigeait
ensuite directement - enfin à peu près !
- au Commissariat de Police... pour dormir. L'autre employé de bureau, veuf,
vivant en solitaire toute la semaine sauf le samedi soir où il buvait seul chez
lui mais avec une idée fixe de sortir vers huit heures du soir en répétant
"Je vais aller me noyer... la fin du monde arrive...". Comme il était
absolument inoffensif, certains voisins l'escortaient autour de la maison après
quoi il rentrait sagement dormir. Sauf un soir où il pleuvait tellement que
personne ne voulait l'accompagner - et le lendemain on l'a trouvé noyé dans le
lac. C'était triste - mais l'alcool en Scandinavie était le fléau - et l'est
toujours dans un certain milieu. Les autorités ont tout essayé pour
"civiliser" ces beuveries qui sont à l'origine de milliers de drames
familiaux.
A LÖDÖSE, SEUL
BATIMENTS A SIX ETAGES
les ramoneurs étaient
des artistes admirés par les gosses. Un jour, notre "chef" George
proposait "on va en faire autant"... et lui n'avait pas de vertige et
se promenait là-haut en vedette. Mon frères et moi - les enfants sont parfois
des idiots et se croient "obligés" d'épater les copains - nous avons
essayé, nous aussi. Mais j'ai encore à mon âge, soixante quinze ans, des
angoisses et des cauchemars rien qu'a penser à ma position là-haut, assis à
cheval, tremblant, ne sachant pas comment revenir. Heureusement George m'a tiré
de cette lamentable aventure...
Avec l'âge - à dix ans
- nous sortions en forêt. En hiver pour des grottes de glace, en été pour cueillir
des myrtilles mais surtout du bois de chauffage pour notre maison. Le bois
était cher - et Maman était contente de voir notre volonté de nous rendre
utiles... J'ai appris à aimer la Nature, à me promener en forêt. Je crois que
la nature scandinave est ce qu'il y a de plus beau au monde.
NOUS CHANGEONS ENCORE
DE SUJET
pour reparler d'études.
Mon bac ne m'a pas posé de problèmes, malgré mon âge - je n'avais pas encore
dix sept ans ce qui était, à l'époque, très jeune. Je dirais même TROP jeune
puisque l'école doit contribuer à nous préparer pour la vie. Je sortais du
Lycée très "innocent" - et c'est la vie qui m'a malaxé par la suite.
Le Bac était en 1925
une cérémonie assez importante. On chantait "Vive la Liberté", on
pouvait aller aux restaurants, boire, fumer - et même "flirter". Avec
la casquette blanche sur la tête, on avait la tête pleine d'espoirs... Pour mon
cas, j'ai eu la surprise de trouver, en sortant de la salle du Bac, toute mon
équipe de joueurs de foot, de jeunes ouvriers de la papeterie Munksjö, qui
avaient demandé l'après midi pour aller "transporter par chariots"
deux de leur camarades, les premiers "bacheliers" dans ce milieu
ouvrier si contesté et pourtant toujours prêt aux élans de sympathie...
Il m'est arrivé cinquante
ans après mon Bac de rencontrer lors d'une visite rapide à Jönköping, des
anciens copains de notre équipe Junior, et j'ai éprouvé une grande joie
d'entendre "... mais c'est bien toi Wille..." et après on a bavardé
sur le passé et "notre" club Jönköpings Sôdra Idrottsförening que
nous avions formé ensemble, sans argent, sans expérience administrative, avec
comme premier Président "Kalle Sko", un facteur intérimaire.
Lors de notre premier
"déplacement sportif" à Vaggeryd, le boulanger du coin nous a prêté
gratuitement sa camionnette. Après le match - perdu six-zéro ! - on va prendre
un café tout près du stade... mais nous étions deux à ne rien commander - un
jeune chômeur et moi, l'étudiant. Alors un ouvrier nous appelle "ceux qui
ont du travail vont offrir à vous deux du café et du smörgas..." un geste
vraiment "sport", spontané. Pourtant, ces jeunes ouvriers ne
gagnaient pas beaucoup... mais leur esprit de solidarité n'a pas admis que deux
copains "restent sur la touche".
A l'époque, il y avait
pourtant à Jönköping une sorte de "guerre" entre "jeunes
collégiens" et "jeunes ouvriers". Notre quartier
"Söder" était plutôt mal réputé pour les agressions contre des
étudiants. Une seule fois, mon frère et moi avons été "menacés" par
une bande venant d'un autre quartier, Öster, mais dans la bande il y en a un
qui m'a reconnu en disant "... eh les gars, le petit joue avec
Södra..." et nous n'avons pas été inquiétés. Il faut dire que de mon
temps, tous les élèves au Lycée devaient obligatoirement porter la casquette
traditionnelle. Il était donc facile de repérer un "pésé" (lycéen)
par les ennemis, les "bynkés". La différence de classe - qui n'existe
plus.
Après le Bac début
juillet 1925, il fallait chercher du travail... mais le monde était en crise.
Les banques qui embauchent toujours pendant les vacances avaient déjà fait le
plein par des "relations" - c'était un métier "noble" de
travailler dans un banque ! - et comme personne ne voulait de mes services,
Maman m'a persuadé de m'inscrire dans une petite Ecole de commerce locale où je
n'ai strictement rien appris - sauf d'additionner des colonnes de
"Doit" et "Avoir". Mon frère était parti au Service
militaire - et avec trois soeurs, j'ai commencé à fréquenter les copines de mes
soeurs - et à fumer la pipe ! Un jour, ma mère me pousse d'aller voir un homme
"avec relations" - et début février 1926, j'ai pris un billet
Jönköping - Malmö - Köpenhamn - Hambourg - Cologne - Paris, troisième classe
assis. C'était long, quarante deux heures, je crois. On m'avait recommandé
d'écrire à une Pension Vesque, 25 rue
Babylone à Paris, et arrivé à la gare du Nord, j'ai attendu pendant deux heures
devant la gare, croyant naïvement que quelqu'un de la Pension allait me
prendre...
Mais je n'étais plus à
Jönköping... Finalement, je me décide, prend un taxi - pour la première fois de
ma vie ! - et me fait copieusement eng... par ce que je n'ai pas donné de
pourboires. Pension triste et beaucoup trop chère pour moi. A l'église
suédoise, on me trouve une chambre - et je me présente, tout tremblant, rue
Bassano à la Chambre de Commerce Suédoise, très "snob" en 1926.
Heureusement qu'ils avaient l'habitude de stagiaires ne sachant rien faire...
D'ailleurs, ils ont du bien rigoler en douce de voir débarquer un jeune
provincial d'origine modeste, habillé correctement... à mon avis... enfin, j'ai
eu de la chance qu'après quelques jours, l'huissier russe a eu pitié de moi et
m'a discrètement glissé à l'oreille que quelques modifications vestimentaires
ne seraient peut-être pas...
La solitude à Paris
était terrible, et si j'avais eu de l'argent, j'aurais pris le train de retour
à Jönköping. Un jour une fille (institutrice à l'église suédoise) me dit que la
Banque de Suède et de Paris avait besoin d'un débutant - et j'ai accepté...
parce qu'il n'y avait pas d'autres candidats (C'était en 1926, en pleine
inflation et mon travail était au "CHANGE", autrement dit par exemple
dix couronnes donnaient trente huit francs soixante quinze. Du matin au soir.
Certains clients venaient deux à trois fois par jours pour cinq couronnes... Je
gagnais cinq cents francs par mois (et il fallait absolument vivre avec cela !)
ce qui voulait dire un repas par jour et une séance du cinéma du quartier (à
deux francs) le samedi. Dur dur dur - mais une bonne école. Après six mois au
guichet, j'entends un client dire à mon chef "...tu ne connais personne
qui pourrait prendre mon job de traducteur - correspondancier car je veux à
tout prix rentrer en Suède mais on m'a demandé de trouver d'abord un
remplaçant...".
J'ai sauté sur
l'occasion. Le lendemain, le "partant" me présente au directeur du
personnel de la maison DORMEUIL FRERES, tissus en gros et ensuite au directeur
Exportation. On m'a fait faire une traduction suédois/français, une autre
français/allemand, une autre hollandais/français (toutes les trois vraiment
mauvaises !) mais ce qui m'a sauvé était une traduction français/suédois qui
d'après le "partant" était "impeccable". Bien sûr, il était
pressé de partir...
Ensuite le salaire ! le
"partant" m'avait dit "...te laisse pas faire car le salaire du
début est déterminant pour la suite...". J'ai demandé mille francs, le
directeur du personnel m'a fait un long discours sur ma jeunesse, sur
l'importance morale pour toute ma vie d'appartenir à une Société DE TOUT PREMIER
ORDRE NOMMEE DORMEUIL FRERES, sur le niveau des salaires des autres et qu'il
avait un fils "diplômé" qui était tout heureux à vingt trois ans de
gagner cinq cent cinquante francs par mois et que j'étais très fort en suédois
mais très très faible en Français...
La vie m'avait déjà
appris qu'il fallait écouter parler les "grands", et finalement, le
directeur sort son mouchoir, m'offre sept cent vingt cinq francs en tremblant
en affirmant qu'il avait en réalité dépassé le niveau qui était de son autorité...
J'ai remercié et j'ai dit "Mille francs, Monsieur le Directeur". Le
directeur me regarde avec étonnement et "presque en considération",
dit "Jeune homme, vous êtes trop jeune pour bien comprendre que c'est
DORMEUIL FRERES qui pourrait me faire l'honneur de m'inscrire... et il s'en va.
Quelques minutes plus tard, il revient et me dit tout bas, tout bas :
"... la HAUTE DIRECTION m'a
autorisé et c'est bien la première fois dans ma longue carrière de directeur du
personnel que ceci arrive, eh bien, Monsieur Stalbrand, vous aurez neuf cents
francs, aucune augmentation ne sera ni demandée encore moins accordée pendant
dix huit mois..." J'accepte les neuf cents francs.
Et à la Banque on m'a
laché avec un petit préavis de deux jours - j'ai appris plus tard qu'une jeune
fille de Stockholm avait fait une demande !
DORMEUIL FRERES existe
toujours rue Vivienne, près de la Bourse.
Nous étions deux
traducteurs - correspondanciers, après quatre mois trois, un Suisse, un
Hollandais et moi. Le pauvre Suisse était payé cinq cents francs, le Hollandais
sept cent cinquante mais il était aussi journaliste débutant et gagnait
cinquante francs par ci par là. Après quelques mois, j'obtiens de mon chef
mille francs "tout rond", quelques mois plus tard lorsque le
Hollandais avait donné son préavis "j'arrache" à Monsieur BRUN (le
chef du personnel) mille deux cents francs après le même cinéma qu'à l'embauche
complété par "aucun chef de service ne gagne cette somme énorme ici - et
je ne veux plus jamais parler salaire avec vous..." Bon. Le directeur
EXPORT était un sportif, membre du bureau du Racing Club de France et un jour
en m'apportant "mon" courrier, je me lève en disant "Monsieur
Meyer, je suis très heureux de la belle victoire du Racing..." Il tourne
la tête, me regarde sans rien dire pendant dix secondes... "Stalbrand, la
lettre à Copenhague est urgente". Je la lui fait en vitesse et la lui
apporte à un moment où il est seul dans sa cage vitrée.
"Merci
Stalbrand... je ne savais pas que le sport vous intéresse et je vous dis tout de
suite que chez DORMEUIL nous parlons tissus et travail..." Je glisse
"bien sûr, Monsieur Meyer, mais j'ai deux compatriotes qui jouent au
Racing et ils m'ont parlé de vous..."
Une semaine plus tard,
il m'appelle dans son bureau, demande dans quel club je joue et qu'il pourrait
me patronner pour un essai dans une équipe Junior D au Racing. Mais comme je
n'avais pas d'argent et comme le droit d'entré au "Club des
Millionnaires" était énorme, il n'a pas insisté. Mais de temps en temps,
il prenait deux minutes pour me parlé d'un grand Suédois, Yves GYLDEN, un
pilier au Racing, un gentleman dans tous les domaines.
J'ai pu avoir un
salaire de mille cinq cents francs grâce à Monsieur Meyer... Un grand bonhomme,
dur au travail mais le sport m'a aidé à ce qu'il me considère comme un homme
(jeune) et non pas uniquement comme une machine à traduire. Mille cinq cents
francs était un très bon salaire - mais j'ai constaté assez vite que plus on
gagne, plus on dépense...
UN JOUR SKF A BESOIN
D'UN SUEDOIS
comme secrétaire au
Directeur des Usines d'Ivry-Port. J'étais un bon joueur dans notre équipe
suédoise de football, et il arrivait souvent que l'équipe des Vétérans ne
pouvaient aligner que sept ou huit joueurs. Alors, on faisait appel aux joueurs
de "La Première" - il n'y avait pas de "Deuxième" - et
parmi les Vétérans, il y avait quelques "huiles", dont un directeur
d'une autre usine SKF. C'est lui qui m'a dit "... si ça vous intéresse, je
pourrais vous recommander pour un bon job chez SKF à Ivry..." (Un Directeur
SKF ne tutoyait pas un "petit à cette époque !).
J'ai eu la place qui
n'était pas difficile parce qu'il y avait déjà un secrétariat de trois dames,
et pour m'utiliser, mon chef envisageait de me diriger vers la place de chef
des achats. En attendant, j'étais chargé de vendre un grand nombre de
machines-outils, un travail intéressant où j'ai obtenu de bons résultats (pour
SKF).
Un jour, mon directeur m'annonce : "Demain matin, vous allez vous
présenter à la Direction Générale à Paris pour écrire quelques lettres car la
secrétaire privée de notre PDG est malade...".
C'était vraiment une
tuile ! Je tapais assez bien à la machine - mais comme "sténo"
j'étais a peu près NUL. Bon - je me suis dit "... il ne peut que
t'engueuler... Le PDG était Monsieur Yvan BRATT, le créateur des restrictions
d'alcool en Suède, un des très grands "cerveaux" suédois. Froid,
impersonnel. L'expérience fut un désastre... Monsieur Bratt dicte pendant
peut-être deux minutes, s'arrête, regarde en l'air et dit "... nous allons
reprendre les deux dernières phrases..." Je bafouille, mon
"sténo" n'était pas lisible - et rouge comme un coquelicot, je dis
"...je m'excuse mais j'avais bien pris un cours de sténo mais je n'ai
jamais eu l'occasion de m'entraîner... Alors je ne peux pas lire ce que j'ai
essayé de prendre en sténo !" Un sale moment... Monsieur Bratt sort mon
dossier "Personnel", dit... "pourtant vous avez écrit que vous
êtes sténo... ce n'est pas bien... mais puisque vous avez probablement dit
presque toute la vérité... je dis presque... je vais dicter lentement et vous
allez faire de votre mieux en écrivant normalement...".
C'était un rapport
important à la Maison Mère SKF Göteborg, un très long rapport... le texte
tournait dans ma tête, et je ne comprenais rien (ce qui n'était pas nécessaire
non plus !). Après une heure pénible, Monsieur Bratt, me montre la machine à
écrire de sa secrétaire et dit "une seule copie s'il vous plaît..."
et s'occupe d'autre chose comme si je n'existait plus... Téléphone, visites,
etc. Et la belle machine à écrire était - évidemment - d'un modèle perfectionné
que je n'avais jamais vu avant...
Je crois que la haute
Direction SKF n'a jamais reçu une lettre si mal tapée, si mal disposée, si
pleine d'erreurs...
Monsieur Bratt l'a lue,
très mécontent mais trop maître de lui-même pour vouloir s'abaisser à eng... un
petit scribouillard. "Evidemment, ce document ne devrait pas partir mais
c'est une nécessité... et une urgence..." Il a pris son stylo en or, je
suis sur qu'il a mis un PS comme quoi sa secrétaire Mademoiselle Marck était
malade... et il a mis la lettre sous enveloppe lui-même...
Il n'a jamais fait
appel à mes services par la suite.
Le lendemain, à l'usine
d'Ivry, je mentionne à mon chef ce qui s'est passé, et j'ai cru avoir compris
"...bien fait pour celui-là". En effet, les deux hommes ne s'aimaient
pas du tout - et quelques temps après, mon chef a été nommé à un poste
spécialement créé pour lui... une véritable voie de garage, un étouffement
total. Je commençais à me rendre compte de la cruauté "en haut lieu"
et que dans le monde industriel, les peaux de banane sont parfois fabriquées
sans que les victimes s'en doutent... Et encore en 1983, ceci est inchangé...
Naïvement, je
commençais à croire que j'avais déjà un "bagage" pour trouver facilement un bon emploi bien payé en
Suède. Je quitte SKF où la "mission" de mon ancien chef m'avait
laissé dans le vide.
Une désillusion énorme
! Je n'avais pas encore appris qu'il ne faut JAMAIS démissionner d'un job avant
d'être sûr d'avoir un meilleur assuré sans faille ! En Suède - RIEN RIEN RIEN.
D'abord lecture d'annonces dans la grande presse, en tout optimisme. Réponses,
réponses... mais pas de suite. Si - comme vendeur de produits de beauté.
Que faire en attendant
le service militaire ? J'ai fait deux ou trois bons match de football - mais
c'est difficile dans une petite ville de province de prendre la place d'un
autre dans une bonne équipe soudée. J'avais peut-être une trop haute opinion de
moi-même pour Jönköping où la discrétion est de rigueur et la jalousie la
qualité humaine dominante.
J'ai fait quelques
comptes-rendus dans un journal local où le rédacteur en chef était un ami de
Lycée. D'abord cinq centimes la ligne, ensuite six. J'ai décroché la collaboration
de plusieurs grands journaux à huit centimes la ligne. Je fabriquais des
chroniques sur le sport sur le style classique. Mais c'était toujours
"embarrassant" de rencontrer dans "ma" ville des copains du
Lycée en bonne voie pour des situations dans les Administrations. "Et toi
- toi qui a été à Paris des années, qu'est ce que tu fais ?".
Le service militaire à
Eksjö ? Comme toujours, ce service vous laisse un bouquet énorme de bons
souvenirs... après quelques années quand les mauvais souvenirs sont effacés. A
vrai dire, je n'aimais pas du tout le système militaire. En 1928, l'angle des
pieds était beaucoup plus important que le tir ou la marche individuelle en
terrain difficile. Aux interrogatoires le fait d'utiliser ses propres termes
était une faute capitale pour le pauvre adjudant qui connaissait le livre
militaire par coeur - mais rien d'autre. Le fait de parler français m'a
gratifié de "l'honneur" de balayer notre couloir le premier. Aux yeux
des sous-officiers, j'étais un soldat médiocre. Heureusement qu'en Suède le
tout a changé depuis.
APRES LE SERVICE DE
SEPT MOIS
la course après un bon
travail recommençait mais plus âprement car je commençait à me rendre compte
que je n'était pas du tout le seul à avoir un "bagage". Le Bac seul ?
zéro. Le séjour en France ? Sans intérêt. Une période difficile...
Un soir, en jouant au
bridge avec trois copains, l'un d'eux me dit brusquement : "... mais c'est
vrai - tu as été en France, tu as même travaillé chez SKF, pourquoi ne pas
demander demain à FLÄKTFABRIKEN si tu ne fais pas l'affaire ? Ils cherchent
quelqu'un pour accompagner le directeur de l'usine en France où ils veulent
s'implanter..."
Le lendemain, c'était
le premier avril 1935. Le directeur de l'usine, Sigurd Pettersson, était très
complexé, muni d'un bon sens mais toujours sur la défensive, toujours imbu d'un
rôle pour lequel il n'était pas armé, avare. A ma surprise, après deux heures
d'entretien - composé surtout de silences de la part de Sigurd Pettersson - il
fait le tour du bureau, regarde par la fenêtre pendant cinq bonnes minutes, se
retourne et dit : "... nous pouvons donc commencer tout de suite". Il
ne disait pas "vous, encore moins "tu". Mais "nous".
Salaire trois cents couronnes, une exploitation de ma situation comme
"chômeur intellectuel".
On m'a mis devant un
petit bureau, on m'a donné un dessin d'un ventilateur, on m'a dit de calculer
ce qu'il fallait comme matière première pour sa fabrication. Heureusement que
je suis tombé sur un bon camarade de travail qui a vite compris. "Viens,
on va te montrer les toilettes..." et seul avec moi, il m'a dit :
"T'en fait pas - j'ai fait cela pendant trois ans et tu peux trouver
exactement les mêmes documents dans mon dossier... et tu copies ce qu'il te
faut..." J'ai fait semblant d'avoir oeuvré pendant une journée pour une
étude déjà existante ! C'était Allan... Rien n'est difficile pour
l'ingénieur... sauf la première fois seul !
Quelques semaines après
l'embauche, Monsieur Pettersson me fait venir dans son bureau pour me dire,
"Nous... nous... nous allons partir à Paris pour une mission avec
moi...". J'étais très content et demande "Quand ?". Il me répond
"... Le meilleur train est à dix heures cinquante deux et j'ai nos billets
ici..." Rien n'était préparé et j'ai couru jusqu'à la maison pour dire
"Maman, je pars à Paris dans une demi-heure et il me faut toutes mes
affaires..."
C'était bien Sigurd
Pettersson. Le temps de l'Entreprise coûtait trop cher pour le consacrer à
faire une valise.
Train jusqu'à
Copenhague, ensuite avion à Paris. ASEA avait réservé des chambres d'hôtel -
mais Sigurd Pettersson a immédiatement à Paris fait annuler les chambres -
"c'est beaucoup trop cher !" - et ensuite il m'incombait de trouver
deux petites chambres sans "confort". La réplique de Sigurd
Pettersson était mémorable "... nous ne sommes pas venus à Paris pour
dormir...". En effet, il m'a demandé de louer "le moins cher
possible" une machine à écrire "pour taper dès maintenant les
rapports" - mais j'ai invoqué que "les machines françaises n'ont pas
les mêmes lettres que les suédoises (ä-ö). Comme "retour à Paris"
c'était plutôt morne...
Nous sommes retournés à
Jönköping par Bruxelles "puisque c'est le même prix et nous verrons alors
l'Exposition Universelle de Bruxelles". ASEA nous avait réservé deux chambres
à l'hôtel Métropole - même comédie, Sigurd Pettersson m'a demandé de chercher
"deux ou une chambres moins chères". Je n'ai gardé aucun souvenir de
cette belle Expo du fait que Sigurd Pettersson a évité tout ce qui était payant
en invoquant que "nous n'avons pas beaucoup de devises...". Un seul
souvenir - Sigurd Pettersson a voulu tenter sa force sur un appareil à lancer
un mini-canon sur des rails. Il a échoué... et bêtement, j'ai demandé à faire
un essai. Réussi ! C'est une gaffe, une faute psychologique à ne pas commettre
- se montrer supérieur à son chef ! Même dans un jeu...
FLÄKTEN SE DECIDAIT
POUR L'ACHAT
des usines PINGUELY à
Aubergenville en 1935. Un camarade Widemar et moi-même devaient assurer le
démarrage, Widemar comme ingénieur, moi pour les papiers. Une période bizarre
où il fallait embaucher un à un une équipe d'ouvriers. Le premier était
menuisier - concierge, le deuxième forgeron. Ces deux hommes, Marlin et Georges
Nicoll, sont restés VIM jusqu'à leur mort. Georges était aussi le secrétaire de
la cellule communiste d'Aubergenville, un homme droit, loyal et pourtant ferme
dans ses idées "rouges". Je crois qu'il y avait vraiment une amitié
entre nous deux, le communiste et le patron, et il m'a parfois évité de prendre
des décisions injustes. "Il tapait comme une brute sur les tôles", et
après vingt années il a failli succombé à une crise cardiaque grave. Après
trois mois de repos, il voulait reprendre le travail - "il faut bien que
ma femme et moi bouffent !" mais j'ai réussi à le persuader de devenir
magasinier. Il a rouspété pendant plusieurs mois "c'est pas du travail
pour un homme..." mais peu à peu, il a trouvé qu'un magasin bien tenu
était très utile.
Le premier ventilateur
a été photographié sous tous les angles, et nous l'avons laissé dans la cour
pendant vingt quatre heures pour que tout le personnel (sept ouvriers !)
puissent l'admirer... Mais il y avait une forte animosité entre l'ancienne
direction générale VIM et les deux suédois venus démarrer une usine abandonnée.
après trois mois, Paris nous a demandé de calculer le prix d'un tunnel
relativement simple ce qui fait que Paris a enlevé la commande. En réalité, la
forme du tunnel était finalement arrondie ce qui a nécessité plus de deux cent
heures de travail à la masse... Le siège VIM a refusé de participer aux pertes
en invoquant que "l'Usine ne dépend que de la Suède"...
FLÄKTEN A FINI PAR
PAYER LA CASSE
mais un an plus tard,
on m'a délégué en Angleterre comme promotion. C'était en 1937, l'année du
Mariage. Une belle année. Nous étions jeunes? Nous n'étions pas riches, nous
n'avions pas de voiture - même pas une petite AUSTIN comme on disait en
Angleterre - mais nous avions une petite maison dans Hatherley Road à Ealing,
une rue avec cent maisons rigoureusement identiques de chaque coté. Au début,
on se trompait de maison, mais tout le monde était gentil et nous guidait en
souriant "... ça arrive à tout le monde ici...". L'usine était à
environ deux kilomètres cinq. Un jour, le brouillard était tellement épais que
j'ai bien mis deux heures pour rentrer. Toute circulation autos était arrêtée,
l'éclairage était allumé partout mais on ne le voyait qu'à un mètre du poteau
de réverbère. C'était épouvantable. On avait du mal à respirer. Le lendemain,
dans les journaux, on lisait que beaucoup de personnes étaient mortes en crises
d'asthme. Sans parler des accidents de toutes sortes.
On a vite fait
connaissance de nos voisins qui disaient "la petite française". Le
mari m'a embauché à jouer dans l'équipe locale de foot - une toute petite
équipe - et j'ai vite compris comme arrière central qu'il fallait être
"tough", ne pas mettre de gants pour s'imposer. Que de bagarres !
Mais une fois le match fini, tous étaient copains pour boire une tasse de thé
ou une bière. Vraiment de bons souvenirs !
L'usine travaillait le
samedi à midi - ensuite nous prenions le "Underground" pour aller en
ville, une ou deux fois pour voir ARSENAL jouer à Highbary, souvent pour du
shopping. Le samedi soir - du cinéma. Le dimanche, le jour où tout était fermé,
nous avons fait des excursions par train. Une belle vie sans soucis. Si - comme
toutes les maisons anglaises, le chauffage était essentiellement "a nice
coal fire" qui chauffait sur un rayon de deux mètres...
EN 1938 L'USINE N'AVAIT
PLUS BESOIN
de moi, surtout depuis
que le Directeur anglais Ward avait découvert que je "n'était même pas
ingénieur". Il faut dire que je n'avais aucune formation pour la
fabrication, et je crois que c'était une grave erreur de la direction en Suède
de m'envoyer en Angleterre sans formation ni instructions sur ce que je devais
faire ou ne pas faire !
Le retour à l'usine
Fläkten à Jönköping n'était pas facile. TOUS formaient un mur pour empêcher
"l'étranger" d'avoir une bonne place ! Avec cela; la Guerre Mondiale
numéro deux éclate en 1939. Mobilisation ! Chaque industrie avait le droit, au
début, de conserver "le personnel indispensable"... ce qui fait que
je partais parmi les premiers pour "mon" régiment à Eksjö "pour
deux semaines de rodage". Après deux semaines, nous avions tout juste reçu
la moitié de notre équipement, y compris le chapeau à trois cornes tel que l'on
s'en servait deux cent ans plus tôt ! C'était un désordre total... Pauvre armée
suédoise de 1939 ! En une semaine, les russes auraient pris le pays... comme
les nazis ont pris la Norvège avec une poignée de soldats... ou comme les
allemands ont pris le Danemark en vingt quatre heures ou quarante huit suivant
les versions...
Je n'ai jamais eu une
haute opinion des militaires de métier. Toute l'organisation est basée sur le
principe que seul le CHEF sait, seul le CHEF décide - et ceci traverse tout le
corps militaire. Il n'y a qu'à voir un lieutenant en face d'un capitaine, ce
même capitaine en face d'un colonel, ce même colonel en face d'un général... Tous
des "garçons de course"... Même en 1983 où pourtant dans l'industrie
un jeune ingénieur spécialisé peut et doit donner son opinion soit-elle
contraire à celle de son "supérieur". L'argument le plus
"intellectuel" dans l'armée reste "C'est un ORDRE". Et l'humanité
dépense des milliards pour les armées ! Tout le monde sait dans quel état se
trouvait l'organisation militaire en France en 1939... malgré au moins douze
mois d'avertissements que Hitler préparait quelque chose...
J'AI PASSE NOEL 1939
à la maison où nous
attendions notre premier enfant pour février - mars 1940. Mais début janvier,
convocation par télégramme de me présenter "d'extrême urgence" à
Eksjö. L'Europe était en guerre, le front finlandais ne pouvait plus tenir
longtemps - et nous... nous avons passé trois semaines à dormir le jour et
jouer aux cartes la nuit dans notre triste caserne.
Nisse est né le 28
février 1940 - et mon capitaine alcoolique m'a d'abord refusé la permission de
rentrer pour admirer MON FILS ! Qui n'était pas très beau car il s'était griffé
toute la figure...
Le sport m'a aidé une
fois de plus. L'officier des sports était très très peu intéressé des sports et
il m'a confié le tout... sauf les quelques cérémonies. C'était passionnant et
je crois que "mes gars" ont obtenu des résultats surprenants. En foot
par exemple, j'avais une équipe de joueurs totalement inconnus - et nous avons
fait deux - deux contre Norrköping, une équipe "internationale".
Décidément, football est un jeu de hasard.
Bien entendu,
"mon" régiment a été envoyé dans le Sud de la Suède "à titre de
défense préventive en cas d'attaque de surprise...". Le régiment avant
nous avait démoli tout ce qu'il avait construit... et nous avons donc commencé
par reconstruire tout !!! Ceci est bien militaire. L'argent ne compte pas, le
bon sens encore moins. Mon groupe avait pour mission de reconstruire des abris
contre l'artillerie lourde. Le colonel, à cheval, est venu pour inaugurer... et
toujours à cheval, il grimpe sur la petite colline qui marquait le dessus de l'abri.
Crash... les quatre pattes du cheval ont percé notre abri
"anti-bombes", le colonel est tombé par terre - et l'inspection a été
arrêtée. Mais le scandale n'a pas eu de suite pénales. Le capitaine a été
engueulé - mais comme il était déjà sur le liste des "officiers en fin de
carrière", il s'est "consolé" avec une bouteille d'alcool...
comme d'habitude. Le cheval était intact - c'était l'essentiel pour nous !
RETOUR A FLÄKTEN
SEPTEMBRE 1940
où j'étais si possible
encore plus inutile qu'auparavant. J'ai cherché du travail partout en répondant
aux annonces, et j'ai appris aussi le danger de répondre aux annonces
anonymes.. Un jour, Monsieur Pettersson me fait demander. Il m'explique, avec
maints détours, qu'il avait su que je cherchais un autre travail ailleurs, en
développant le tout dans des phrases qu'avec mes qualifications de l'étranger,
lui ne pouvait m'assurer un travail "suivant mes qualifications...".
Et à ma surprise, l'entretien s'est arrêté là !
J'étais devenu le
responsable des sports à l'usine. Un week-end, nous avons fait le déplacement à
Stockholm pour une rencontre de natation, et j'ai rencontré quelques ingénieurs
du Siège Social. Un mois plus tard, Pettersson me demande : "Notre Service
Etranger à Stockholm a besoin de quelqu'un avec de bonnes connaissances en
français et en anglais - alors tu peux y aller pour quelques semaines si tu as
toujours envie de me quitter...".
Quelle joie ! A
Stockholm, j'ai trouvé une ambiance amicale, une camaraderie, un travail
agréable et utile - et un chef, Stig Olsson, comme on n'en trouve pas beaucoup.
Mon "copain d'en face" - c'était Olle Johansson. Fait sur mesure et
pas jaloux pour deux sous. Toujours prêt à aider. Ca c'était un copain !
Nous avons trouvé un
petit logement à Stocksund, et je crois que j'ai passé les meilleures années de
ma vie de travail à Fläkten Stockholm. Mon travail m'intéressait, j'ai fait des
études le soir et je suis devenu "INGENIEUR", ce qui avait été un
rêve pour moi depuis des années.
La guerre tirait vers
sa fin. Colette était souvent inquiète pour son père, Elisabethville étant
"occupé" par les allemands. Bien entendu, le courrier ne marchait
pas...
Un jour, le Big Boss
d'ASEA Paris, Edgar Carlsson, est venu à Stockholm, à titre de "courrier
diplomatique", et il nous a donné de bonnes nouvelles de la famille
Reinhold en dînant avec nous un soir. Il était "en froid" avec son
ingénieur des usines Persan, et il dit "en passant" qu'il aurait
peut-être besoin de moi... C'était un homme énergique - quelques semaines
après, Stig Olsson me dit que si j'étais d'accord (Stig était un gentleman !),
je recevrais un entraînement concentré pour prendre en charge non seulement
l'usine VIM mais aussi les usines ASEA à Persan-Beaumont. C'était vraiment une
belle promotion ! OK - plusieurs mois d'hiver à Västeras... où je ne savais
rien... et ce que j'ai appris était vraiment superficiel ! La guerre a pris fin
en mai 1945, un mois plus tard, je débarque à Paris, tout heureux de me rendre
chez Monsieur Carlsson qui m'explique assez rudement qu'il ne m'attendait pas
si tôt... et que je pouvais toujours me rendre à Aubergenville où il avait
"nommé" un chef, n'ayant par reçu de réponse de Fläkten...
De nouveau un mur de
glace... Heureusement, à l'usine, les "anciens" ne m'avaient pas
oublié et m'ont soutenu. En effet, le "chef" défendait sa position
inespérée par tous les moyens ce qui était plutôt normal, mais après trois mois
de tension locales, je mets les pieds dans le plat et demande à Edgard Carlsson
"C'est moi - ou c'est lui ? Si c'est l'autre, je demande à rentrer en
Suède où j'ai un travail sympathique...". Premier résultat est que ma
position devient plus solide. Les grèves nationales de 1947 m'ont servi car
tous les ouvriers ont eu un comportement irréprochable pendant l'occupation de
l'usine - grace surtout à Georges Nicole ! - et nous étions les premiers à nous
mettre en route.
AU SOMMET ON SENT LA
TEMPETE
mais je considère aussi
que si l'on est bien payé - c'était mon cas à la VIM - il faut souffrir un peu
plus que ceux qui sont moins exposés.
A la maison, Lisbeth et
Patrick ont agrandi la famille à notre grande satisfaction.
Le reste... vous le
savez plus ou moins. Et le but de ce "rapport" était double - donner
satisfaction à Nisse et peut-être intéresser mes petits-enfants d'une façade de
vie de FARFAR (MORFAR).
Mais, une fois de plus,
je dois revenir en arrière pour parler d'autre chose que de moi-même !
Ma mère était une femme
extraordinaire ! elle s'est occupée de l'avenir des cinq enfants, elle a fait des
démarches, elle a saisi une occasion rare d'acheter une villa Brahegatan 63 à
Jönköping pratiquement sans avoir de quoi payer le notaire, elle s'est
débrouillée pour avoir des hypothèques bancaires pour la maison, elle a pris la
décision d'installer des WC et salles de bains (pendant quelques années, il
fallait sortir et traverser la cour !) une vie de travail, sans beaucoup de
joies pour elle. Les enfants n'apprécient guère les parents que quand c'est
trop tard... pour les parents... Que puis-je ajouter à cela ? Rien sauf que nos
trois enfants ne nous ont pas donné beaucoup de gros soucis...
Encore - retour. Mon
père avait donc repris la mer, malgré la guerre. Peut-être parce que c'était
bien payé - peut-être et assurément parce que dans son esprit, à un moment ou
tous les marins se "dérobaient" pour ne pas "sortir', pour lui
c'était un devoir. Il ne s'est jamais plaint. Une seule fois, il a permis à mon
frère et moi de "monter" avec lui de Malmö è Ramvik en Norrland. Une
cabine était libre. C'était en été et nous étions libre d'école. Le premier
jour - c'était merveilleux. Le deuxième jour, malgré une mer calme, nous étions
"malade". Le troisième jour pareil. Enfin, arrivés dans le
"petit Nord", à Härnösand, la rivière était formidable, calme, belle.
A Ramvik, ancrage à
cent mètres du rivage pour chargement par péniches. Mon frère et moi nous
amusons à courir sur les bords des péniches... et PLOUF... le petit Wille fait
un faux pas et descend dans l'eau. Mon frère ne s'aperçoit de rien. Mais le
Premier Officier était sorti en barque pour pécher, et à cent mètres de la
péniche, comme par hasard, il a tout vu. Il se jette sur les rames... et il
parait qu'il est arrivé à me sortir de l'eau par les cheveux lorsque je
descendais dans les profondeurs pour la troisième fois... Je me suis
"réveillé" dans une cabine sans bien me rendre compte de ce qui
s'était passé, mais on m'a tout raconté... et j'ai promis d'apprendre à nager
immédiatement !
Au retour, le bateau se
met à quai à Kramfors, juste pour une heure. Mon père a une course urgente chez
un ship-chandler et ils nous amène. Mon frère me dit "je vais faire
pipi..." et s'en va. Et nous attendons, mon père - furieux - et moi - tout
penaud. Nous parcourons quelques rues - pas de Verner. Finalement, nous l'apercevons...
se dirigeant dans la mauvaise direction... et nous faisons un sprint pour
arriver à notre bateau.
Mon frère était un
"rêveur", sans aucun sens d'orientation, peu manuel mais un
"littéraire" doué pour une carrière académique... mais les finances
de la famille ne permettaient pas des études au-delà du Bac ! Il est devenu un
"faible", obligé de travailler dans des branches loin de ses
aptitudes, enfermé dans une vie grise, heureux de son chien et avec ses livres... et ses pipes.
Mes trois soeurs ?
Ethel, la plus douée et la plus courageuse des trois a travaillé comme
"savonneuse", comme vendeuse et comme aide-dentiste. Elle aurait pu
devenir un chirurgien dentiste... mais... pas d'argent pour les études. Mariée
une première fois avec Sven Fogelberg, deux enfants Leif et Anita. Sven est
décédé assez tôt et Ethel s'est remarié avec Rolf, souffrant d'une santé
médiocre à l'age de la retraite. Ethel est et a toujours été très courageuse -
et pourtant, la vie ne lui a pas toujours souri.
Mes deux autres soeurs,
Milly et Irène, ont trouvé des époux relativement riches. Irène a eu deux
filles. A vrai dire, j'ai totalement perdu tout contact avec elles après la
port de mon père.
Maman est morte d'une
pneumonie, mon père dix ans plus tard.
Ma jeunesse sans
argent, dans une famille pauvre où le manque de moyens financiers ont empêché
tous les enfants de s'orienter vers des carrières suivant aptitudes - en 1920 /
1930 il n'était pas question pour des familles pauvres d'obtenir des
"bourses" ou des aides d'études - tout cela a fait que j'ai toujours
voulu grimper sur l'échelle sociale pour pouvoir offrir à ma famille une vie
sans trop de soucis d'argent. Si j'ai atteint ce but à peu de chose près, j'ai,
par contre, échoué comme "père de famille". J'ai toujours pensé
"BOULOT" là où j'aurais probablement du penser "rester avec la
famille". Une "angoisse de rechuter parmi les pauvres", une
autodéfense contre des intrigues plus ou moins vraies, une tendance à vouloir
"économiser pour nos vieux jours".
J'ai constaté qu'en
dehors du sport, il n'existe pas de camaraderie sans arrière pensée.
J'ai aussi constaté que
mieux tu es payé, mieux tu es considéré - si tu évites les peaux de bananes.
Un chef de veut que
rarement accepter une idée qu'un subordonné - mais il ne se gêne pas du tout
pour sortir la même idée quelques mois plus tard comme étant la sienne. Et tu
dois approuver... et jamais montrer d'où vient "cette brillante
idée"... sauf de ton CHEF.
ANDERS NILSSON STALBRAND
Né
à Nosaby (Skane) le 1er mars 1879
Mort
à Jönköping le 19 juillet 1964
Elève surdoué dans la
petite école communale mais sans ressources économiques. Son père était un tout
petit fermier avec sept enfants.
Apprenti-forgeron à l'âge de 12 ans, ensuite embauché sur un petit cargo. Il
arrive à passer une année dans une école de navigation, travaille à gauche et à
droite, fait des économies pour passer dans l'école supérieure pour devenir
"ingénieur de la marine", entre au service de la Compagnie Transmarin
où il reste fidèle à l'exception de quelques années à Tidahom (Société des
Allumettes) et Jönköping (Mekaniska Verkstaden).
Marié en 1905 à Emma
Bengtsson, née le 16 octobre 1885, décédée le 28 aout 1949.
Cinq enfants : Verner né en 1906, William en 1908,
Ethel en 1910, Milly en 1912, Irène en 1913.
Verner décédé en 1980.
Grande médaille d'or
pour service rendu.
Mon père a eu une vie
de travail dure, très dure et le DEVOIR du travail était sacré pour lui. Très
dur pour lui-même en premier lieu, mais aussi pour ses compagnons de travail.
Son grand chagrin était certainement qu'il n'avait jamais pu ou su gagner
l'amour de ses cinq enfants du fait qu'il était très souvent en déplacements et
que ma Mère a été obligée de s'occuper des enfants et de la maison. La mort de
ma mère l'a très profondément touché, et les dernières années de sa vie, il
allait une fois par jour jusqu'au cimetière de la Forêt pour prier sur la tombe
de sa femme, ma mère.
Vu de nos yeux, en
1987, nous pouvons dire qu'il n'a pas connu beaucoup de satisfactions en dehors
de sa vie professionnelle. Mais telle était très souvent la vie d'une famille
pauvre au début du siècle. Travailler dur six jours sur sept, se détendre un
peu le samedi soir - et s'occuper de la famille et de l'intérieur le dimanche.
Les "repas" pendant la première guerre mondiale se limitaient à des
pommes de terre et un petit hareng. Les restrictions alimentaires étaient
terribles, surtout du fait que le Gouvernement n'avait pas cru à la durée de la
guerre en 1914, à peine en 1915, et ceux qui avaient de l'argent
"stockaient" au détriment des pauvres. En 1916, 1917 et 1918, le
rationnement fonctionnait assez bien - je me rappelle même qu'une semaine nous
avons eu deux bananes à partager entre nous tous. Une banane une semaine, une
autre deux semaines plus tard, tel était le rationnement de ma Mère. Quelle
fête !
Mon père a vite initié
les enfants à comment trouver du bois de chauffage (sans se faire prendre par
les paysans hargneux), mais il n'avait jamais montré un intérêt quelconque pour
le sport. Évidemment, le sport n'existait pas sur les navires - et le travail
était tellement épuisant (seize heures de travail dans les machines, huit
heures de repos ou de sommeil). Le football - "pourquoi courir tous après
un ballon ?" et l'athlétisme n'étaient pas pratiqués sur une échelle
nationale avant 1920. Pourtant, avec ses forces énormes dans les bras, il
pouvait soulever presque "n'importe quoi".
Mon père est venu nous
voir une fois à Elisabethville, mais pour lui le plus beau paysage du monde,
c'était sa province natale Skane. Il ne parlait pourtant presque jamais de son
enfance qui a du le marquer profondément, cette époque là étant encore plus
rude, plus impitoyable pour les pauvres que ce que nous pouvons imaginer en
1987. Pour les enfants, il voulait "pour chacun un métier manuel
honnête", et c'est grâce à ma Mère que mon frère et moi ainsi que ma soeur
cadette Irène ont pu aller au lycée.
Il aimait les animaux,
et les dix dernières années de sa vie, il avait un chien énorme qui donnait
l'impression d'être très féroce mais qui n'avait qu'un défaut et c'était de ne
pas connaître sa force !
Mon père est mort seul
et souvent isolé. Il souffrait terriblement de crampes dans les jambes et d'une
très mauvaise digestion, mais comme il détestait les médecins, il essayait par
tous les moyens SEUL de ne pas trop souffrir. La sécurité sociale n'était pas
de son époque !
Je garde de mon père le
souvenir d'un homme de rigueur, absolument honnête en tout, avec la conception
que le Travail est notre vie. Comme tous les marins, il croyait en Dieu, mais
il n'allait jamais à l'église. Il disait une fois "c'est mon Dieu à moi et
le pasteur n'a rien à voir avec moi". Je suis absolument persuadé que la
mort était une délivrance longtemps souhaitée par lui.
Anders Nilsson Stalbrand,
un homme DROIT.
SOUVENIRS... l'année
1900
Il y avait, dans la
fenêtre, une azalée en fleurs et un myrte verdoyant, les deux probablement
rêvant des profondes forêts tropicales. Entre les deux fleurs, une toute jeune
fille avec des larmes aux yeux. Son idéal, son chéri allait la quitter pour un
très long voyage sur la mer, et des années se passeraient avant que les deux se
retrouvent de nouveau. Personne n'avait rien promis à l'autre - mais il lui
avait fait comprendre, maintes et maintes fois, combien il l'aimait.
C'était le prologue...
Göta Elf, la rivière
qui débouche à la mer à Göteborg, une rivière calme et limpide fréquentée par
des navires de toutes les nations, Göta Elf était mes dernières eaux douces avant
le départ vers le "Grand Large". Notre séparation n'était qu'un
souvenir brûlant et pénible. Il fallait commencer le vie de routine, la vie de
travail. Le charme de la nouveauté pour beaucoup de jeunes... mais ce charme
s'atténuait rapidement par la solitude que chaque débutant éprouve. Des jours
et des nuits disparaissaient dans un travail dur, pénible souvent du fait que
la tempête soufflait suivie par une chaleur tropicale.
La vie continue et un
jour, notre premier port se présente devant nos yeux. Tout ce que j'ai souffert
pendant le voyage est vite oublié - voyons, on est bien un vrai MARIN...
Et bientôt - départ.
Mais pas vers la Suède. Loin vers des pays inconnus pour moi, des mois et des
mois. L'image de la jeune fille était toujours dans mon coeur mais pas aussi
vivante. Il faut le dire - la vie dans les ports du monde entier n'est vraiment
pas très catholique, tout au moins pas à cette époque là. La vie sur le navire
était "boulot" "boulot" et encore du "boulot", il
n'y avait pas de loi sur les heures à travailler et le contact entre les hommes
isolés passait par des moments dur.
IL SE PRODUISIT ALORS
UN MIRACLE
Un jour, pendant mes
deux heures de libres, je me suis endormi au soleil, très fatigué après une
grande nuit de travail dur.
Dans mon rêve, je vois
"ma petite fille" qui avait des larmes aux yeux et qui me
regardait... Je me suis réveillé en sursaut avec la décision ferme : "Je
retourne en Suède, fini cette vie de nomade. Tout au moins pour quelque
temps...".
A notre premier port, j'ai
posté une longue lettre, ma première lettre depuis longtemps... et un jour, la
réponse me parvient disant :
"Je serai
tellement heureuse si tu pouvais revenir..."
Et je suis rentré. Nous
avions fixé rendez-vous dans une gare à Smaland, elle venant du Sud, mois de
Göteborg. Et je me rappelle comment je comptais les minutes avant que mon train
s'arrête. Et comment trouverai-je "ma petite fille" après toutes ces
années ? Ses lettres avaient témoigné d'un esprit ouvert et sensible, détails
que j'appréciais énormément.
Le train arrive...
et un deuxième miracle
se produit :
Cette belle jeune femme
délicieuse - était-ce vraiment la même jeune fille que j'avais abandonnée
quelques années plus tôt ?
Mais oui, c'était bien
vrai...
A cette minute même
naquit la base d'une union de quarante quatre années et que seule la Mort a pu
briser.
J'AI RÉUSSI A ENTRER A
L'ÉCOLE DE NAVIGATION
où j'ai bien passé tous
mes examens.
Et il fallait encore
nous séparer. Mais tout était différent cette fois-ci. Elle m'écrivait des
lettres d'amour qui me faisaient passer des journées heureuses, et je ne
manquait vraiment pas une seule occasion pour rentrer à la MAISON.
Au Mexique, j'ai eu une
grave crise de malaria, et le médecin m'a ordonné de rester au moins douze mois
"par terre". Une période magnifique dans ma vie, et elle s'est
prolongée de sept années, jusqu'à la Guerre Mondiale de 1914.
Depuis, ma vie a été
"service sur mon navire" et de temps à autre, quelques jours de
vacances à passer avec Elle et les enfants.
Les années passent...
et nous nous trouvons dans une nouvelle Guerre Mondiale : 1939. J'ai survécu
même ces épreuves, en frôlant la Mort bien des fois dans les convois.
Après la guerre, je
venais de passer mes soixante cinq ans, et j'ai pris la décision de rester près
d'Elle les années ou mois qui me restaient encore a vivre.
Trois ans plus tard,
j'ai du accompagner ma camarade de vie à sa dernière demeure. Le dernier
service que j'ai pu rendre à celle qui, pendant quarante deux ans comme mon
épouse avait partagé les moments agréables et aussi les moins agréables.
Il me reste les
souvenirs. Un souvenir merveilleux. La Foi, l'Espoir et l'Amour. Et l'Amour
peut vaincre tous les obstacles.
MA PREMIERE ANNÉE DE
GUERRE 1939 - 1940
Nous étions, pour une fois,
en vacances toute la famille avec les cinq enfants, dans le village charmant au
nom poétique de Furusjö (les pins autour du lac) mais le télégramme n'a pas
tardé : "Rendez-vous urgent à Fagervik où s/s Flora termine son chargement
destination New-York".
Deux jours plus tard,
nous descendons le golfe de Botnie pour un voyage de routine, sans incidents.
Après déchargement à New-York, nouveau chargement à Fernandina de
superphosphate pour Stockholm. Tous nos papiers étaient en règle, et notre
chargement n'étant pas considéré comme "matériel de guerre", nous
n'avions pas à passer par le contrôle suprême à Kirkwall. Mais trois jours
avant d'arriver à la hauteur des Orcades (Okney Islands, archipel au Nord de
l'Ecosse) un navire de guerre britanique surgit et nous somme d'aller à
Kirkwall. Pour toute sécurité, cinq marins débarquent chez nous à
"Flora" et nous n'avions pas le choix. Une fois à Kirkwall ou plutôt
Scapa Folw, nous avons attendu deux nuits et une journée, entouré d'une
cinquantaine de bateaux qui, tous, attendaient un contrôle éventuel et la
permission de continuer.
Enfin un message
laconique : "Continuez votre route - erreur de vous dévier sur Scapa
Flow".
Il faut dire que le
contact direct avec les anglais, alors comme maintenant, a toujours été
empreint de courtoisie et de bonnes manières. Nous avions souvent l'occasion de
bavarder avec nos cinq "surveillants", et je me souviens surtout d'un
sous-officier qui, un soir, m'a confié : "Aujourd'hui, c'est exactement
vingt cinq ans que nous avons coulé la marine allemande aux Iles de Falkland
(Les Malouines)". Oui, cela s'est bien passé en décembre 1914 et nous
étions en 1939.
C'était des souvenirs
communs même si j'étais moi-même à Montévidéo (Uruguay) et bien dans l'ambiance
de guerre. Il faut dire que c'est vraiment intéressant de rencontrer quelqu'un
QUI Y ETAIT en service actif et qui, pendant les vingt cinq années passées,
avait vécu une vie pleine d'épisodes dans tous les coins du monde.
LE TORPILLAGE DE
NAVIRES MARCHANDS
se faisait avec une
énergie farouche et teutonique par "Les Maîtres après Dieu", mais
nous avons quand même pu traverser jusqu'aux eaux territoriales norvégiennes,
où un pilote nous a pris en charge vers le sud. Arrivés à Helsingborg, ordre de
nous arrêter - les Allemends avaient miné le passage autour de Falsterbo
(pointe sud de la Suède) avec des mines submergées. Rien d'autre à faire que
d'aller à Limhamn et décharger une bonne partie de manière à passer dans les
eaux territoriales à faible profondeur. Nous sommes arrivés à Gâddviken sans
incidents.
NOEL... oui c'était
dans la mer au-dessus des mines allemandes mais il était important de décharger
à Stockholm et continuer dans le Golfe de Rotnie vers Sundsvall. L'hiver était
très très dur, le plus terrible depuis cinquante ans. Il fallait passer quand
même, malgré le brouillard, la neige et la glace, souvent derrière un
brise-glace mais ceux-la n'étaient pas toujours pour nous...
Il faut dire,
maintenant, que c'était INFERNAL ! Nous étions tous en service commandé pour
surveiller la mer. Des mines se baladaient. Parfois un périscope
"inconnu". Je veux dire que TOUT LE MONDE a fait un travail admirable
! Pratiquement sans repos, on mangeait ce que l'on trouvait. Quelle équipe
admirable ! Bien sûr, on pouvait entendre de temps en temps un juron de gros
calibre si un bonhomme tombait sur la couche de glace - mais, entre nous, nous
les marins, nous avons l'habitude, dans notre vie de solitude et de travail
pénible, de pester et jurer, sans mauvaise pensée !
Malgré tous les
obstacles, nous sommes arrivés à Sundsvall pour charger, toujours pour les USA.
Le froid était presque insupportable. Mais il fallait faire vite car le risque
était grand de ne plus pouvoir sortir dans le Golfe où la glace était déjà
épaisse.
Pour la première fois
de toute ma vie de travail, un médecin m'a donné l'ordre absolu de me soigner
(maux d'estomac aggravés) mais déjà à mi-mars, je téléphonais à mon employeur
que j'étais "en état de reprendre le service". Ceci étant plus ou
moins vrai... mais mon pays avait vraiment besoin de tout homme valide ou
presque, surtout la Marine car il ne se passait pas une semaine sans qu'un ou
deux de nos navires soient signélés comme "disparus en mer". Oui,
c'est ça, le progrès de l'humanité - tuer, tuer sans rime ni raison humaine...
A l'époque
préhistorique, si on ne trouvait pas l'homme soupçonné pour un acte criminel,
on se vengeait sur sa famille ou même sur sa tribu ! Ces méthodes ne datent pas
d'hier. L'hypocrisie non plus. Un trait commun revient dans tous ces conflits
et c'est toujours le plus faible, le moins bien armé, le moins capable de se
défendre, seul ou avec sa tribu. C'est toujours ce pauvre diable que l'on
charge de tous les pêchés et qu'il faut par tous les moyens punir, ou anéantir.
Il en a toujours été
ainsi... et cela continue. Je me rappelle le décret de Hérode de tuer tous les
enfants mâles afin d'arriver à supprimer un seul (Jésus de Nazareth), un
exemple maintes fois copié, chaque fois aussi déshonorant pour l'ordonnateur.
UN NAVIRE MARCHAND
PAISIBLE
poursuit sa route sur
l'Océan, et chaque homme sur le navire compte les heures avant d'atteindre le
prochain port. Un port, c'est toujours un petit changement dans une vie
monotone et pénible. L'homme de garde signale un objet visible à l'avant,
quelque chose de petit qui a l'air de gondoler sur la surface de la mer.
Quelques minutes plus tard, on voit quelque chose qui ressemble à une baleine -
et un ordre sec comme un coup de trique :
"Vous avez quinze
minutes pour embarquer vos bateaux de sauvetage !"
Et ensuite... une
torpille qui remplit bien sa mission héroïque... une explosion assourdissante,
un nuage de fumée et de pièces métalliques monte en l'air... et quelques
minutes plus tard, ce navire disparaît dans les fonds profonds de l'océan, un
navire paisible qui a lutté pendant de nombreuses années contre les vagues et
les tempêtes, sans défaillance. Et les vagues effacent toute trace de la
"bataille"...
Mais dans les bateaux
de sauvetage se trouvent les mêmes hommes qui, quelques minutes avant,
discutaient les idées comment passer un bon moment de détente dans le prochain
port. Brusquement, la maison, le coin familial, la famille, tout paraît si
loin... Le temps passe, le nombre de survivants diminue pour chaque heure,
chaque jour... et bientôt, ou bien plus tard, on trouvera peut-être une
embarcation vide, seul témoignage de la tragédie. N'oublions pas que le
"sauvetage" dans une petite embarcation pour ne pas parler du radeau
de sauvetage n'est en réalité qu'une mort lente, surtout dans tous les cas où
le torpillage a eu lieu en hiver dans les mers du Nord. Très peu d'hommes
survivent mais presque tous restent des invalides pour le restant de leur vie.
Le seul espoir est qu'un avion de surveillance vous découvre - mais la mer est
énorme et ni le vent ni les courants ne suivent des règles de navigation
établies. La petite embarcation peut, en quelques jours, être portée des
centaines de kilomètres dans une zone où les navires sont rares et les chances
de découvertes minimes.
Ceci n'est nullement un
fait isolé mais plutôt quotidien. Et cela continue... avec la seule différence
que le torpillage se fait maintenant sans le moindre "préavis" ou
avertissement. Tout est simplifié à une époque dominée par les instincts les
plus bas, les plus abjects. Que reste-t-il de ce que j'ai appris, que Dieu nous
a donné le don de comprendre, de raisonner avant d'agir ? Rien...
CONTINUONS NÉANMOINS
NOTRE VOYAGE
d'un des nombreux
fjords norvégiens où se formaient souvent les convois. La nuit était noire, la
tempête soufflait à trente mètres/seconde, toutes les forces de la Nature
étaient déchaînées comme cela se produit parfois au début d'avril. Bien
entendu, dans ces conditions atmosphériques, il était totalement impossible de
garder un contact entre les quarante navires constituant le convoi. Au lever
du jour, nous nous voyons seul sur notre route, seul et sans la moindre
protection. Oui, rien à faire, personne ne lutte contre la tempête. Nous
n'avions pas le choix, il fallait continuer... et la place ne manquait pas. La
tempête ne diminuait pas... et c'était peut-être notre Chance. Les navires qui
avaient réussi à se regrouper en convoi ont été attaqués par des avions mais
j'ignore combien ont coulé.
Nous
"roulions" notre chemin, seul dans une mer terriblement agitée. Nous
avons aperçu un bombardier "croix gammée" tournant une minute
au-dessus de nous - a-t-il jugé notre navire comme sans intérêt, ou a-t-il vu
d'autres proies ? Le fait est qu'il nous a abandonné pour retourner à sa base.
Quelques jours plus tard, nous avons vu au loin quatre croiseurs légers ce qui
nous a donné la certitude que notre voyage pouvait se poursuivre sans trop de
dangers.
Déchargement dans deux
ports mais ensuite ?
DES ÉVÉNEMENTS SE SONT
PRODUITS
qui nous ont pratiquement
isolé de notre Patrie pour longtemps. Tout contact par lettres ou télégrammes
était totalement coupé. Après deux semaines d'attente, enfin l'ordre de nous
diriger vers l'Afrique. Le hasard a voulu que nous soyons deux bateaux suédois
avec la même destination, et la compagnie nous donnait une certaine assurance,
car si l'un était coulé par un sous-marin, l'autre pouvait toujours en sauver
quelques hommes. Bien entendu, les navires marchands ne sont jamais armés.
Tout s'est bien passé,
et à la hauteur du Cap Finistère, nos routes se sont séparées. Pour nous,
direction sud, et chaque jour nous apportait une amélioration du climat. Nous
atteignions Dakar pour un arrêt de vingt quatre heures. Par temps de paix, ce
port est fréquenté par un très grand nombre de navires marchands, étant un
point important pour ceux de l'Amérique du Sud et pour ceux de l'Afrique du Sud
- mais nous n'avons vu que des navires de guerre en masse ce qui changeait bien
avec l'aspect normal de ce port le plus important de l'Afrique Centrale.
L'entrée était bien protégée par des filets anti-sous-marins et par des champs
de mines. Mais en route. Notre destination était un petit port en Gambie, un
village tellement isolé que la guerre était même passée sans l'apercevoir. Pas
de mines, pas de canons, pas de mitrailleuses. Une vrai idylle ! Et je souhaite
que rien n'ai changé depuis ma visite là-bas ! Mais je n'en suis pas si sûr...
En effet, les
"motivations" pour intervenir dans la vie privée de son voisin sous
forme de "protection" sont tellement incompréhensibles que même les
raisons les plus impossibles paraissent naturelles. Certains considèrent comme
"faiblesse" le sens de correction ou de considération d'autrui.
Je pense quand même que
notre village noir en Gambie a du fournir sa participation sous forme de
soldats en service commandé pour "développer la civilisation" en
Europe. Les nègres de Gambie sont des hommes solides et la France les enrôlait
depuis longtemps dans son armée. Toutefois, dans notre petit port de Gambie,
rien ne disait qu'il y avait une guerre atroce à quelques milliers de
kilomètres, ce qui nous changeait bien agréablement. Les noirs oublient vite -
et la nuit, on dansait autour des feux flambants en oubliant les problèmes
ailleurs. Pour nous, d'entendre les tambours toute une nuit nous dépaysait.
Cette "musique" noire rythmée avait des effets stimulants sur les
noirs qui pouvaient danser sans interruption des heures et des heures. Pour
moi, l'effet était plutôt endormant - mais je pense qu'il faut s'y habituer et
comprendre les états d'âme des noirs.
Une chose me paraît
pourtant évidente. Ce que nous appelons "la civilisation" est devenue
une forme de pression ou plutôt de dépression, phénomène que je n'ai pas
constaté parmi les primitifs. Les tribus organisent leur vie, et leur nature
généreuse évite des problèmes de logements ou de nourriture pour les moins
doués. Que nous faut-il de plus ? Oui, il faut payer des impôts ce qui oblige
le noir à travailler... parfois mais pas trop. Il le fait, apparemment sans enthousiasme.
Mais ils sont très nombreux ce qui fait que des gros travaux publics ont été
réalisés en Afrique.
UNE FOIS CHARGE, EN
ROUTE
pour une autre petit
port où nous étions obligés d'ancrer à quelques kilomètres du "port"
à cause des dimensions de notre navire. Les indigènes transportaient la
marchandise sur des canoës bord à bord - et à nous de charger, ce qui était
normal à l'époque.
De nouveau Dakar pour
avoir de l'eau potable. Arrêt à Casablanca, un port propre, moderne, construit
pendant les dernières vingt cinq années, avec des grues et tout ce qu'il faut
pour un travail rapide. La ville elle-même a un aspect européen mais avec les
variation imposées par les grosses chaleurs qui peuvent gêner. Les navires de
guerre étaient nombreux, ici aussi mais ils dominaient moins qu'à Dakar.
Nous sommes maintenant
début mai 1940 et notre destination initiale France posait des problèmes. Comme
c'était souvent le cas durant ces années terribles, nous recevions une autre
destination, en Méditerranée. Notre route coupera donc une ceinture devant
Tanger et Cabo Tarifa, une région de mauvaise réputation pour tous les
navigateurs à cause des invasions multiples de sous-marins. Tout le trafic sur
l'Asie Mineure et l'Inde passe précisément par là ! Et des milliers de navires
passent par le canal de Suez pour retrouver l'Océan Atlantique par le
Gibraltar. Les "assassins de la mer" n'ont pas à attendre longtemps
dans ces régions pour trouver des proies...
Nous, Flora", nous
sommes seuls sur la mer, rien à perte de vue. Notre combustible était spécial
pour ne pas produire de fumée. Ce fait est très important car un navire en mer
n'est visible qu'à quelques miles nautiques (maximum dix kilomètres) tandis que
la fumée peut-être découverte à une distance de trente à cinquante miles
suivant la force du vent. Rien ne troublait notre route, et un matin nous avons
le rocher Gibraltar devant nos yeux, une vue splendide dans sa solitude. Un
canonnier vient nous contrôler rapidement, nous souhaite "Have a nice
trip" et nous passons par le Golfe du Lion à Marseille en même temps que
cette ville reçoit son baptême de feu de l'air. Sa première mais la suite, les
sirènes et les canons antiaériens fonctionnaient presque jour et nuit ce qui ne
nous plaisait pas beaucoup...
MARSEILLE 1er JUIN - 30
JUILLET 1940
C'est l'été avec un
soleil superbe sur la Côte d'Azur. Mais personne dans cette ville gaie de
Marseille pensait alors que La mort était en route pour une grande
visite désastreuse.
La guerre durait depuis 9 mois, mais rien ne
s'était produit pour créer une inquiétude particulière. Les rues et les
restaurants étaient, comme d'habitude, pleins de monde, des hommes et des
femmes qui manifestaient un grand intérêt pour des bagatelles.`
Mais comme un éclair
dans un ciel clair... des groupes de bombardiers allemands pointaient leurs
hélices à l'horizon et survolaient la ville où personne ne doutait de rien.
Bientôt les bombes... La jetée C du port en a reçu plusieurs qui démolissaient
les deux grands entrepôts en miettes et même un navire de Göteborg a été
endommagé par un mur tombé. Les immeubles du Quai de la Bègue, pourtant
habitués à des tempêtes et rixes de toute sorte, ont donné l'impression de se
redresser comme pour écouter... mais seulement pour tomber par terre dans un
nuage de pierre et de béton. Deux grands bateaux furent touchés à mort et il ne
restait qu'à les remorquer à la plage et laisser l'incendie poursuivre l'oeuvre
de démolition totale commencée par les bombes. Six jours d'incendie avant de
"respecter" les instructions de couvre-feu ! Une fois de plus, les
forces de la nature ont vaincu les lois humaines... Quelques bombes sont
tombées à proximité de la grande Cathédrale qui ne fut que légèrement blessée.
Les autorités n'ont
jamais communiqué le nombre des victimes...
Mais qui aurait pu
s'imaginer que 2 semaines plus tard, la France se trouverait devant la plus
grande catastrophe de son histoire ! Mais les événements se sont déroulés avec
la vitesse d'une éruption volcanique. Le 10 Juin, lorsque la débandade était un
fait accompli, ce jour l'Italie a déclaré la guerre à la France et à
l'Angleterre...
Les "braves
soldats" de Mussolini étaient alors chargés de cette mission
"glorieuse" de bombarder la ville sans défense comme presque toutes
les villes. Les bombardiers
italiens "distribuaient" des milliers de bombes de 4 000 à 6 000 mètres de
hauteur, avec des effets terribles mais
sans aucun sens militaire...
L'armistice devait être
signé la nuit de Midsommar 25 Juin. Mais seulement quelques heures avant cette
signature, 80 bombardiers italiens faisaient encore route vers Marseille ! Mais
pour une fois de plus, la Nature s'est mêlée du "jeu" humain. On peut,
en effet, se poser la question si, vu sur le plan de l'éternité et de
l'histoire, si le fait de tuer quelques millions d'êtres humains et d'en faire
souffrir beaucoup plus, si ce fait compte vraiment...
Peut-être seulement un
détail dans l'évolution du monde ?
Quoi qu'il en soit, la
nuit de Midsommar nous a montré un échantillonnage de tout ce que le Golfe du
Lion peut produire comme orages. Des éclairs se corsaient, le tonnerre rendait
toute conversation impossible - et quoi dire ? - et la pluie était plutôt des
sceaux d'eau. Toute la nuit et même quelques heures au matin. Même les
"braves" aviateurs italiens ont compris - ou y a-t-il eu d'autres
sentiments ? - que leurs bombes incendiaires seraient sans effet souhaité par
eux, et ils sont retournés en Italie, sans avoir pu enregistrer un seul
incendie, un seul marseillais de tué !
Et pendant ce temps-là,
l'armistice fut signé...
Les drapeaux en berne.
Et la population fut informée lentement comment ce beau pays a été sacrifié. On
pouvait lire le deuil dans les yeux mais sans manifestation de violence. Tout
était tellement incroyable, incompréhensible. Tout le monde était paralysé.
Toutes les routes
menant à la grande ville étaient encombrées par les français, des hollandais et
des belges en exode par tous les moyens de transport possibles et même
impossibles, oui même des piétons. On pouvait voir ici les effets de la
brutalité de la guerre contre les "non-combattants". Il y a seulement
un an, j'ai vu la même tragédie en Espagne, la terreur devant le danger que
rien ne justifie. Et ici dans le Midi de la France, personne ne se doutait de
ce qui est arrivé. Tout le monde était bercé dans une confiance illimitée dans
cette armée si fière, dans la Marine française pour ne pas parler de la ligne
Maginot. Quelle déception terrible lorsque tout craque à la première attaque !
La réaction n'a pas traîné. Découragement et panique. Des hommes hystériques
remplissaient les rues en quête de quoi manger, les boutiques d'alimentation se
vidaient, la famine se faisait sentir. Et les rêves de pouvoir passer en
Afrique du Nord furent vite anéantis. L'Allemagne avait donné l'ordre : Aucun
navire ne quittera le port de Marseille !
La grande fête
nationale française, le 14 juillet, tombait cette année un Dimanche. Une
poignée de personnes de "rassemblaient" autour du Monument des
Mobiles, deux- trois petits discours furent prononcés et c'était tout. Cela me
rappelait plutôt un enterrement de pauvre. Un changement de prison n'est pas,
non plus, une occasion pour célébrer. Dans la vieille Bastille se morfondaient
quelques prisonniers d'État - à partir du 24 Juin 1940, toute la nation
française était en prison...
Je pense aux 3 symboles
- il ne reste plus que le numéro 2 (Égalité). Pour une fois, tout le monde se
trouvait au pied d'Égalité.
NOTRE NAVIRE ÉTAIT
RÉQUISITIONNE
par le Gouvernement
français, mais on n'avait aucune utilisation pour les navires français, encore
moins de ceux que les bureaucrates avaient "gelés". Il n'y avait
aucune chance de quitter Marseille, vu les circonstances, et il ne nous restait
qu'une chose à faire - d'attendre... Et fin Juillet, ordre d'appareiller
d'urgence, d'aller à Huelva en Espagne avec un chargement pour - La Grande
Bretagne ! Vraiment, nous nous sentions tous gâtés devant la nécessité de retourner
sur le champs de bataille... mais n'importe quoi sauf de rester à Marseille et
mourir de faim. Enfin, Huelva n'était pas mieux - au contraire, mais la misère
était si solidement installée dans ce port que tout le monde se transformait en
- mendiants ! Sans complexe ni modestie. Tout le monde expliquait qu'il avait
absolument besoin d'un morceau de pain ou un vêtement, une paire de chaussure
ou un morceau de savon, tout manquait... Une nouvelle preuve que la GUERRE peut
transformer l'être humain, le dégrader à un niveau animal.
NOTRE CHARGEMENT DE
SULFATE DE CUIVRE
une fois terminé, en
route pour l'Angleterre Est. Les sous-marins allemands et même italiens
formaient barrage dans l'Océan et se dépassaient dans les "exploits"
de couler des navires paisibles, exploits glorifiés par leurs journaux
patriotiques - mais inoubliables pour nous qui avons perdu tant d'amis à ce
"jeu".
Afin d'assurer un
minimum de sécurité, nous sommes d'abord descendus à Gibraltar.
GIBRALTAR, UNE
FORTERESSE ANGLAISE
et c'est heureux, car
partout où l'UNION JACK flotte, nous les navigants et marins, pouvons nous
sentir relativement tranquilles, même dans un monde qui déraille" de plus
en plus. Je ne veux pas dire que l'on se sent en sécurité absolue, non, loin de
là, mais on est libre de toutes ces tracasseries qui paraissent inséparables de
la mentalité de "La Nation choisie par Dieu".
C'est merveilleux de
voir Gibraltar de Tarifa. En approchant le port, nous avons légèrement dévié
par inadvertance - aussitôt un éclair du "Rocher", une balle de canon
juste devant notre "Flore". Arrêt - et quelques minutes plus tard, un
pilote arrive pour nous conduire vers notre place pour ancrer, où nous sommes
restés 10 jours pour former le convoi.
Actuellement, la
forteresse reste fermée pour tout étranger, mais du fait que ma présence était
requise pour les discussions autour du convoi à former, j'ai pu m'offrir
quelques heures pour voir de loin ce "monument". On était en train
d'évacuer les femmes et les enfants et tout personne "inutile pour la
défense", certains pour Madère, d'autres pour la Grande Bretagne ou encore
plus loin. Seuls les soldats sont restés - et si l'ennemi osait une attaque, il
aurait eu une réponse mortelle.
Le Rocher est un bloc
compact, 450 mètres au-dessus de la mer et susceptible de recevoir un
bombardement sans trembler. La ville, évacuée, se trouve sur le versant Ouest
et est vulnérable en cas d'attaque aérienne ou même pat tir de la ville
espagnole La Linea - mais ceci est sans importance sur le plan militaire. Des
projecteurs éclairaient de temps à autre une région autrement totalement dans
l'obscurité. C'est d'ailleurs un spectacle impressionnant de voir les
projecteurs dessiner, sur le ciel, des figures plus ou moins géométriques, un
feu d'artifice jusqu'à 5 000 mètres de hauteur pour capter des bombardiers
éventuels. Des tirs de barrage Mais je n'ai vu qu'une fois un avion touché - il
plonge plusieurs centaines de mètres et disparaît ensuite... Mais la nuit
suivante, lui ou son frère était là, sans craindre les canons.
En Espagne, nous avions
entendu des bruits disant que la Flotte Anglaise avait été sérieusement
touchée, notamment les géants HOOD et Royal Oak. Mais un soir, j'ai bien vu un
escadre anglais entrer dans le port - et qui était en tête sinon - HOOD ! le
bruit court... mais il n'est pas toujours digne de confiance... Il marchait
tout seul, et apparemment sans blessures. Le lendemain, tout l'escadre partait,
direction Est, et je suppose que les italiens auraient pu constater quelques
jours plus tard que ces navires anglais qu'ils avaient "coulés"
étaient bien là pour renouveler une leçon aux italiens.
Oui, en Italie, on
allumait des feux de foie pour célébrer la chute de - Malte. et aussi pour
crier victoire que "Gibraltar est anéanti" et que les convois
n'osaient plus sortir... grâce aux exploits des "seigneurs de Dieu"
en collaboration avec "Il Duce". Vraiment de quoi remercier La
Madona. En attendant la version exacte et bien plus pénible pour les italiens
spontanés... L'Italie qui avait "osé" déclarer la guerre à la France
à l'heure où se pays signait l'armistice était sans défense...
est terminé. Les 45
navires se trouvent en place. le capitaine et moi-même sommes convoqués au bureau de l'Amirauté qui nous donne
des instructions écrites à 17 heures. C'est une vue impressionnante, 45 navires
à parte de vue, tous la même route et à une vitesse uniforme de 8 noeuds.
Certains auraient pu aller deux fois plus vite - mais cela n'était point le
problème - il fallait tenir sa place et suivre à la lettre les instructions
reçues. Notre navire avait des problèmes de respecter les 8 noeuds - mauvais
carénage - et on nous a bientôt abandonnés, seuls sur l'Océan. Ce cas était
pourtant prévu par les instructions. Pendant 10 jours, nous étions seuls ce qui
ne nous a pas empêché d'approcher l'Irlande où les eaux étaient infectées par
les allemands. Mais, un peu à notre surprise, rien ne s'est passé et seul sur
la mer relativement calme, nous avons contourné l'Irlande. Nous ne marchions
pas vite - mais ce n'est pas sans une certaine fierté que nous avons approché
Rotlin Island ce qui signifiait que même ce voyage tirait vers sa fin. De
monter Clyde était un jeu d'enfant pour nous, et nous avons pu ancrer 14 jours
après notre départ de Gibraltar.
Les autres navires du
convois sont arrivés sans incident, et il ne restait plus qu'à répartir les
navires suivant leurs destinations . Mais "Flora" est resté - notre
vitesse a été jugée inférieure à ce que le chef du convoi exigeait.
Autour de nous sur
Clyde se trouvait bien 500 000 tonnes de marchandises en attente de
déchargement ou convois à venir. Et pourtant, la radio allemande informait le
monde entier que les allemands avaient coulé la totalité de la flotte anglaise
ainsi que les navires en rade. Des mensonges sous la couverture de
"patriotisme".
Après 10 jours, ordre
d'aller à Mersig, en traversant la Mer d'Irlande, un terrain de chasse préféré
par les bombardiers allemands. Une fois arrivés devant le phare de Liverpool
Bar, nous avons ancré - et c'est la nuit même que le gros bombardement allemand
de l'Angleterre a commencé. Nous avons du aller dans les docks de Birkenhead
(début Septembre) pour le déchargement
et chargement sur rail pour traverser le pays jusqu'à la destination de
l'autre côté, donc vers la Mer du Nord.
QUATRE SEMAINES DE
BLITZ-KRIEG
étaient maintenant
notre "cure". Les hurlements affreux des sirènes se faisaient
entendre une fois, même dix fois par jour, et à travers cet orchestre infernal,
nous pouvions entendre les moteurs des bombardiers lourds, juste au-dessus de
nos têtes. Les canons crachaient sans arrêt, les projecteurs illuminaient le
ciel en long et en large, les explosions étaient partout, en ciel mais surtout
par terre où les effets étaient terribles. Une maison sautait en l'air, parfois
tout un groupe ou même un quartier entier suivant les bombes. Une fois les
aviateurs disparus de l'Horizon, les canons se sont tus et nous entendions le
signal tellement espéré "Danger passé"... mais parfois, 10 minutes
plus tard, nous pouvions entendre une sorte de "miaulement en
crescendo", ce qui signifiait que tout recommençait...
L'horizon était éclairé
par des bâtiments en feu, des incendie partout et le fameux
"couvre-feux" ou "black-out" comme nous disions, ne servait
pas à grand-chose ! Pas de problèmes pour les bombardiers de s'orienter pour
déverser d'autres bombes. Un cirque d'enfer continuel.
Pendant 4 semaines, je
me suis endormi, chaque nuit, au bruit des canons placés un peu partout dans
notre port. Les phares, les bombes éclairantes, les projecteurs, un ensemble
qui vous rappelait plutôt "Coney Island" une nuit de gala. Mais
lorsqu'une série de bombes explosait à proximité, c'était vivement la fin des
illusions... et un retour pénible à la cruelle réalité. Les bombes les plus
néfastes étaient celles à réglage chrono qui pouvaient pénétrer quelques mètres
dans la terre avant d'exploser avec un effet affreux. Pour désarmer ces bombes,
il fallait vraiment tout le sang-froid des spécialistes anglais du fait que
personne ne pouvait prévoir l'instant exact où l'explosion allait se
produire... Le pourcentage de réussite était grand - mais il y avait quand même
beaucoup de cas où tout sautait.
Une fois le
déchargement terminé, nous sommes entrés en dock au carénage, vraiment
indispensable. Ensuite en route pour un autre port pour être démagnétisé pour
nous protéger contre les mines magnétiques. Au port de Talbot ; nous avons
chargé du charbon pour Madère. De nouveau en convoi le long chemin à travers la
Mer d'Irlande cap Nord latitude 58. Après le passage de Fair Head, nous avons
constaté que nous étions 35 navires dans notre convoi... Mais nous étions aussi
accompagnés de sous-marins qui, chaque nuit, réduisaient notre groupe. Il
fallait pourtant continuer, coûte que coûte. Au 15° Ouest, nous n'étions que 22
navires... et c'était notre point de dislocation car les autres étaient à
destination des USA. Un autre navire suédois s'est joint à "Flora" en
route pour Funchal. Donc, cap Sud. Mais nous y sommes arrivés seuls - l'autre
navire ayant été "invité" par un sous-marins italien de mettre les
bateaux de sauvetage en mer et d'évacuer le navire dans un délai maximum de 15
minutes. Ceci était la fin de l'existence de "Megy"...
UN BATEAU DE SAUVETAGE
FUT TROUVE
par un navire de guerre
portugais et l'équipage a été transporté aux Iles Azores pour être canalisé sur
Lisbonne. L'autre bateau a pu poursuivre tant bien que mal vers l'Est et après
avoir parcouru environ 1 000 miles en ramant et à la voile, il a pu toucher
terre au Portugal.
Nous étions à Funchal
et la vie était belle, pour changer. un cargo grec s'y trouvait aussi avec des
victuailles pour la Suisse. Mais l'Italie venait de déclarer la guerre
également à la Grèce, et il fallait faire de la place au quai au navire grec.
Un croiseur portugais se mettait carrément devant l'entrée du port pour le
boucher.
Pour nous, notre
équipage a refusé de travailler, étant donné les circonstances, et ils ont tous
quitté le navire. Ceci est leur droit du fait que nous nous trouvions dans un
pays neutre. Le capitaine, le 1er officier et moi-même étions donc seuls sur
notre navire, et nous avons attendu des semaines afin d'obtenir de notre Cie
Maritime en Suède de l'argent.
Nous avions des
instructions de partir à Lisbonne pour prendre un chargement pour l'Angleterre
- et il fallait donc d'abord trouver un équipage ; ceci n'était vraiment pas
facile sur cette île où les hommes ont d'autres opinions de la vie sans
chercher une aventure inconnue pour eux. "Les plaisirs de la guerre"
- rien pour eux... Après une semaine de recherches, nous avons quand même pu
ramasser une bande de véritable vagabonds qui déclaraient qu'ils n'avaient rien
contre une balade jusqu'à Lisbonne à la condition expresse de ne pas avoir à
travailler ! Tout arrive... et nous sommes tout de même arrivés à Lisbonne où
le chargement a démarré aussitôt. Notre "équipage" de Funchal avait
disparu en une heure de temps ! Et nous étions donc seuls, une fois de plus,
les 3 chefs du navire.
NOUS AVONS DEMANDE
D'AUTRE RELAYES
et en attendant, nous
nous sommes occupés de faire viser nos passeports et une autorisation de
partir. Lisbonne, Madrid et Berlin étaient les 3 autorités "clés". La
légation de l'Allemagne nous a fait subir un interrogatoire sévère mais
finalement, on nous a donné le feu vert.
Trois jours plus, nous
avons nos places dans un avion Lufthansa en route pour Madrid où nous avons
enfin passé une nuit de repos. Barcelone, Lyon, Stuttgart et le soir Tempelhof.
Berlin en Décembre n'est vraiment pas une ville accueillante. Tempête, pluie et
l'obscurité (le black-out). Noël n'était pas loin, les permissions de fin
d'année avaient commencé et les rues ainsi que les bistrots étaient pleins de
soldats plus ou moins ivres. Je suppose que pour eux, sans le savoir, c'était
la toute dernière liberté et "jouissance" dans ce monde...
Berlin-Stralsund n'est
qu'une journée par le chemin de fer. Après une nuit à Stralsund, la petite
étape à Sasnitz et à midi... nous étions sur NOTRE ferry "Drottning
SOFIA". J'ai quitté "Das grosse Vaterland" sans le moindre
regret ni désir d'y retourner. Mais quelle joie merveilleuse de se trouver si
près de ma patrie, de prendre un repas culinaire - mon premier depuis 6 mois !
- et de se sentir comme un être humain, libre, détendu.
A Trelleborg, pas de
formalités. Cela faisait un bail que nous n'avions pas été reçus si amicalement
par une Autorité quelconque !
Et la veille de Noël
1940, enfin avec ma famille.
Une année pleine
d’événements se termine ainsi.
Depuis, j'ai eu des
nouvelles plutôt pénibles de mon navire pour lequel on avait fini par trouver
un nouvel équipage. Ils sont partis, 19 hommes n'ont jamais retrouvé la terre -
le navire a été torpillé et seulement deux hommes ont pu être sauvés
miraculeusement...
VOILA COMMENT J'AI
PASSE UNE ANNÉE
de guerre, grosso modo.
Des milliers d'épisodes restent greffés sur mon cerveau - mais peu en sont
réjouissants. Je garderai toujours l'image d'une jeune fille d'environ 20 ans,
casée dans une vieille voiture de rescapés à Marseille. Immobile, sans bouger
une mine. Je l'ai vu et revu des heures après - toujours immobile. Je pense que
sa tête était pleine d'horreurs récemment vécues.
Une autre fois, j'ai dû
accompagner, à Birkenhead (GB), un marin à l'hôpital. Tout le quartier avait
été effacé pendant la nuit, ce qui n'empêchait pas les enfants de courir et de
jouer dans les braises encore fumantes. Au milieu de la rue se trouvait... la
moitié d'une porte calcinée. Un homme âgé est passé, soulevait les débris de
porte lorsqu'il entendait une voix féminine d'un groupe à côté :
"Enlève tes pattes
de ma porte - c'est tout ce qui me reste de mon mobilier..."
Tout le monde a éclaté
de rire ce qui soulage. Et c'est un point qui caractérise les anglais, du calme
tranquille. Un tel peuple ne peut-être vaincu !
J'ai vu Londres et le
quartier commercial autour de "Victoria Monument". A perte de vue,
des ruines par terre. Adolf avait bien réalisé sa phrase démente : "Tout
sera effacé".
ANDERS
STALBRAND
Un navire se trouve en
chargement dans un port nord-américain, et lorsque tout est terminé, le
capitaine reçoit l'ordre de partir dès le lendemain matin à un point
"longitude "a", latitude "b"." Ici convergeront
un certain nombre de navires de différents ports mais avec destination
similaire. Chaque capitaine reçoit un plan de convoiement indiquant notamment
la place dans le convoi à former. Cette place est à respecter ainsi que la
vitesse donnée. Le navire de tête reçoit ses ordres des escorteurs et doit les
transmettre aux autres navires.
En cas d'attaque par
torpille ou bombes, certains navires ont des ordres d'intervenir, les autres ne
doivent en aucun cas s'arrêter.
lentement Cap Est pour
que tous les navires puissent suivre à la place désignée. Jour après jour. Mais
une nuit, on signale "Attaque par torpille à prévoir". Tout le monde
est totalement réveillé et prêt à tout.
D'abord une violente
explosion suivie par trois autres. L'ordre dans le convoi est modifié - quatre
navires n'ont plus besoin de leurs machines... La loi éternelle de la pesanteur
se charge d'eux pour les conduire à leur dernier repos... L'équipage et
particulièrement le personnel en charge de la machinerie accompagnent souvent
leur navire dans ce dernier plongeon...
Les navires restants
poursuivent leur route jusqu'à la nuit
suivante, nouvelle attaque et lorsque l'aurore point, nous constatons que deux
navires ont disparus au fond. Ainsi de suite. Le cap Nord-Est, et torpillage la
nuit qui réduit notre nombre initial de 45 navire à seulement 25. Nous avons
fait les deux tiers de notre route, presque toujours par mer très agitée et
tempête.
L'optimisme reprend et
nous commençons à compter combien de jours il nous reste cette fois-ci. Mais,
en plein jour, un escadre de bombardiers fonce sur nous. Mais une attaque le
jour n'est pas pareille aux attaques nocturnes des sous-marins que nous avons
en horreur. Les bombardiers se montrent presque toujours le jour - et un danger
que nous voyons est toujours plus facile à maîtriser nerveusement. Il faut dire
aussi que la vitesse d'un bombardier est grande et leur survol d'un navire est
une question de secondes. Évidemment, ils peuvent revenir en une nouvelle vague
- mais pas toujours...
La TORPILLE est
l'ennemi mortel du marin !
Cette fois-ci, les
bombes sont tombées sur deux navires et le tir de nos convoyeurs a descendu un
avion. Les navires touchés ont quand même pu continuer tant bien que mal.
Les avions sont revenus
encore deux fois mais le feu soutenu par nos escorteurs les a empêché de viser
"correctement" et aucun navire n'a été touché.
Nous poursuivons notre
route. Brusquement, une forte détonation et un navire a déjà disparu dans les
profondeurs. Une mine !
Reste pour nous, les
survivants, à traverser la région au Nord-Ouest de l'Irlande, un rendez-vous
pour les sous-marins et les bombardiers allemands. Il s'y ajoute également les
tempêtes et le brouillard sans oublier les marées très fortes par là. La
navigation dans ces eaux est souvent terriblement difficile.
Oui, c'est presque un
miracle que malgré tous ces pièges mortels, des milliers de navires convoyés
ont pu arriver au bon port !
Mais vous ne pouvez pas
vous faire une idée de ce que c'est...
ANDERS NILSSON STALBRAND
Réflexions poétiques
Nous avançons lentement,
étape par étape
Mais personne ne
connaît notre destination finale
Nos intentions de
tendresse
se manifestent presque
toujours trop tard
Mais une fleur blanche
sur une main refroidie
nous soulage un peu
Le vent du Nord souffle
autour de notre maison
ce soir d'hiver
Et les enfants posent
le nez contre la vitre glaciale
en regardant avec
chagrin la voûte étoilée
Ils pensent à leur
Maman disparue
Elle était toujours si
gaie, si gentille
Mais elle n'est plus
avec nous
et le vide est lourd à
porter
Toutes les routes,
toutes les rues
conduisent vers le même
point
Tu peux voyager ou
marcher seul ou à deux
mais les derniers pas,
tu seras toujours seul
Il faut donc se
rappeler qu'il faut apprendre
à supporter les
épreuves en solitaire
Je suis revenu à mon
village natal
mais il a bien changé
depuis mon départ
Rien n'existe plus de
mon temps,
les idylles de ma
jeunesse
Ma déception était
grande de quitter encore ce pays
qui m'a vu naître
Pourquoi faut-il
démolir tout ce qui est ancien,
Qui, qui peut le
dire...
ANDERS
NILSSON STALBRAND
Un jeune marin doit
commencer très tôt
son métier sur les
Océans
Il ne sent pas
si sa mère et son père ont du chagrin
Il est comme ensorcelé
par la Mer
où se trouve la Liberté
de ses rêves
Mais lorsqu'il a brûlé
ses ailes,
c'est déjà trop tard
pour changer de métier
Loin d'ici où la
tempête hurle
et les vagues débordent
tout
son existence se
terminera
dans les écumes de la
mer
Ni fleurs ni couronnes
dans la tombe
Ni larmes non plus
Car personne ne sait
Où son navire a coulé
A MON ÉPOUSE DISPARUE
(Paroles prononcées
devant la tombe)
Quelques paroles pour
dire que nous remercions Dieu
qui nous a permis de
garder si longtemps parmi nous
Tu as senti la grande
joie de voir naître des enfants
et des petits-enfants
et tu as inculqué ton
esprit à nous tous
Nous ne t'oublierons
jamais
En ce mois d'avril, tu
as changé ta vie terrestre
contre une autre qui
nous échappe
Toute ta vie, tu t'es
sacrifiée pour nous
et seule La Mort a pu
mettre une fin à ton Amour pour nous
Tu es venue d'une forêt
de Blekinge,
tu nous quitte ici à
Smaland
et que ta petite fleur
favorite MYOSOTIS
t'accompagne sur ton
dernier voyage.
"NE M'OUBLIEZ
PAS" Myosotis
Le 3 Mai 1948 Anders Stalbrand
ANDERS
STALBRAND
Souvenirs poétiques
J'ai éprouvé beaucoup
de plaisir
de visiter tous les
coins du monde
de voir de beaux
paysages ailleurs
et de conserver de
beaux souvenirs de ces visites
Pourtant, le jour le
plus merveilleux,
c'était toujours lorsque
nous faisions route vers la Maison
A mon épouse chérie
qui m'est restée si
proche
et dont je garde
toujours l'image dans mon coeur
La
Havane, 10/03/1925
Personne
ne vous fait cadeau du "chez moi"
même
pas si la Fortune vous sourit
C'est
quelque chose que nous bâtissons
d'année
en année
A
travers des joies et des déceptions
Pour EMMA
Tu as vécu pour ton
mari et pour ceux
à qui tu as donné la
vie
Tu as donné tout donné
en amour merveilleux
Mais maintenant tu as
disparu de notre temps, de notre vie
Oh Maman, oh Mon
épouse, ton rayonnement restera toujours
Enfants
et amis, vous qui restez ici
lorsque
je serai loin des bruits de la terre
Lisez
alors ces mots sur mon front pâle :
Je
veux vous retrouver tous auprès de Dieu
C'est comme si le
soleil a disparu de ma vie,
Rien ne sera plus
jamais comme avant
Tes yeux ne me
regarderont plus
Mais je ne t'oublierai
jamais
ANDERS
STALBRAND
A notre Maman...
Tout ce qui était le
plus beau, le meilleur,
Tu l'as donné à ton
époux et à tes enfants
et notre chagrin est
grand
maintenant devant ta
dernière demeure
Maman, tu était notre
rayon de soleil
qui nous manque
tellement maintenant
nos larmes tombent
mais tu n'est plus avec
nous
Nous
garderons silencieusement ton souvenir
et
nous pensons que Dieu te donnera sa récompense
Merci
de tout ce que tu as fait
personne
au monde nous était si cher
Merci,
chère Maman, merci et à bientôt
Anders
ANDERS
STALBRAND
Réflexions poétiques
Il existe un proverbe
que je n'aime pas du tout -
"Lorsque la
mangeoire est vide, les chevaux se mordent"
Et pourtant, c'était le
moment où notre Amour était merveilleux
Nous étions pauvres et
nous avons souffert
Mais notre amour
restait intact
De vieillir c'est de
voir des fils se casser
et chaque souhait crée
sa propre tombe
Lorsque j'étais jeune,
je savais tout sur tout
et maintenant - tout ce
que je sais
C'est que tout ici est
une faveur divine
Nous
aimons les premières feuilles
et
aussi les dernières
C'est
de plus en plus notre vie
de
créer des espoirs- et de les perdre
Que devons nous compter
et retenir -
Les jours et années de
bonheur
ou la minute de douleur
?
Lorsque
l'arbre tombe de sa hauteur,
nous
entendons des échos partout
mais
lorsqu'une timide violette
se
meurt dans la mousse
où
personne ne l'a vue
C'est
seulement lorsque le doux parfum nous manque
Que
nous nous réveillons
Pour
nous apercevoir que nous avons perdu un trésor
A MAMAN
Te
souviens-tu d'elle
son
dos voûte
son
front plissé par soucis
son
regard qui aimait rester sur le tien en tendresse
son
sourire qui réchauffait
et nous rendait si heureux
ANDERS
STALBRAND
Poésie
Un
Océan qui m'a souvent porté
les
vagues qui m'ont bercé
Peut-être
loin derrière l'horizon
où
ciel et mer s'unifient
Se
trouve la plage de bonheur
que
mon oeil a cru apercevoir
là
où mon désir inquiet sera calmé
Et
la paix retourne dans mon âme
Même
si le cap a souvent changé
Je
pourrai enfin jeter l'ancre
Sommeil
après travail dur
Calme
après disputes et conflits
Le
port après la tempête
La
mort après la vie
Quel
bonheur merveilleux
(Après
mon plus long voyage 39 jours de Skutskar-Baltimore 1924)
Ce
que j'ai pensé, ce que j'ai fait
ne
pèse pas lourd
Mais
il est quand même possible
Malgré
mes forces faibles
Que
j'ai pu planter une graine
Qui
se développera peut-être
car
je crois
que
l'amour ne peut jamais mourir
Le
jour se meurt, la nuit occupe le ciel
Bientôt,
les étoiles éternelles seront visibles
Mais
je ne regrette pas le jour qui fuit
La
nuit qui approche ne me fait pas peur
Car
lorsque l'Amour a traversé le monde
Une
miette en est aussi tombé dans mon coeur
Lorsque
le soleil se cache derrière les montagnes
et
annonce le soir du sixième jour
Le
travailleur rentre pour se reposer
Et
le Dimanche du Seigneur entre dans sa maison
Ce
qui coûte peu être payé
Ce
qui a été acheté une fois pour encore être acheté
Mais
la confiance d'un coeur fidèle
n'est
ni à vendre ni à acheter
C'est
vraiment un cadeau unique
Traduction
de 2 lettres adressées à ma soeur Ethel :
Jönköning
le 20 Mai 1949. Ma chère Ethel. Je te prie de croire que je partage de tout mon
coeur la perte que tu as subie. Ton télégramme vient de me parvenir et je sais
bien comment tu le sens. Même si tu t'y attendais, le chagrin est toujours
profond. Mais Dieu te consolera comme il le fait toujours.
Et
tu as surtout tes petits enfants Anita et Leif qui, eux aussi, ont subi une
perte irremplaçable, et ils ont besoin de toute la consolation que toi seule
pourras donner.
Je
prie Dieu pour votre protection, mais si je peux faire quelque chose pour toi,
tu me le diras.
Ton
Papa
Ma
chère Ethel,
Je
te remercie chaleureusement de m'avoir écrit pour ce jour (16 Octobre, date de
naissance de ma mère) un jour qui pour moi est bien plus important que Noël.
...
Tout
reste encore en fleur ici mais bientôt c'est fini - c'est la vie qui est faite
ainsi.
Je
reviens du cimetière où tout reste beau. Cordialement
MON
PERE A TOUJOURS LUTTE
contre
ce qu'il désignait comme "L'Injustice dans tous les domaines". Pour
éviter tout conflit (prévu) avec notamment mes deux soeurs Milly (la plus
"faible") et Irène (la plus agressive), il m'avait demandé, 3 ans
avant sa mort, si je ne voulais pas lui acheter la maison familiale, et j'ai
fini par accepter.
La
vente était parfaitement légale, et le paiement avait été déposé en banque.
Il
y avait ensuite un testament car mon père voulait éviter que les deux filles
"contre" (Milly et Irène) profite de quoi que ce soit, d'autant plus
qu'elles étaient plutôt riches et "bien mariées". Sait-on comment les
"conflits de famille" naissent ? Non ! pas plus qu'un ignore comment
y remédier...
Le
Notaire qui s'est occupé des formalités d'héritage écrit en date du 7 Août 1948
à ma soeur aînée Ethel :
" Tous les documents sont enfin signés par tous, ce
qui n'a pas été un travail facile.
A vous, un grand Merci de tout ce que vous avez fait pour votre
père de son vivant.
Il était l'homme le plus honnête que j'ai jamais rencontré,
lui comme votre mère, une femme de caractère noble que je n'oublierai jamais.
Je vous remercie de tout mon coeur de votre esprit
ouvert..."
Mon
père avait commencé sa longue vie (85 ans) avec deux mains vide mais avec une
capacité d'apprendre peu commune. Il a su gagner sa vie par un travail
extrêmement dur, souvent pénible. Grâce à la gestion de ma mère, la situation
économique de la famille s'est successivement améliorée - mais nous n'avons
même jamais pu rêver d'une voiture automobile, encore moins de résidence
secondaire... Pour ma mère, l'essentiel était de bien élever les 5 enfants et
de leur donner à manger correctement tous les jours. Quelle différence avec la
conception de la vie actuellement !