mercredi 20 février 2019

Mes Élèves

Aujourd'hui certains sont de grands professeurs retraités et admirés. Ma meilleures élève, Robina Chungu est morte car on n'acceptait pas en ce temps là une femme plus intelligente que les garçon.


Nous étions dans les années de la décolonisation, les années post 68, les années de l'Afrique nouvelle.  Je crois heureusement que nous rêvions tous un peu.

Mes élèves, de différents pays africains, venaient de passer 4 ans en Suède à l'Université de Uppsala (la meilleure, c'est la mienne !).

Passer 4 ans en Suède, c'est déjà dur, surtout que cela représente 4 hivers.

C'était aussi le temps où le nouvel expert suédois à sa sortie de l'avion cherchait vite vite un noir afin de lui serrer la main et montrer que lui, lui n'était pas comme ces sales colonialistes.

Selon mon patron le test de la grille était concluant : à son arrivée l'expert suédois descendait de voiture, ouvrait la grille, arrêtait la voiture, fermait la grille.  Un an après il arrivait comme une trombe à la grille, plaquait sa paume sur le kIaxon, jurait sur ces types qui n'étaient jamais là quand on en  avait besoin et ne ratait pas la quant on en avait besoin , au passage "encore une fois et tu es à la porte".

C'était le temps où dans la cafétéria, si toutes les places étaient prises et qu'un étudiant africain arrivait, un étudiant suédois se levait pour lui laisser sa place (démonstrativement) pour bien montrer que lui n'était pas pour le raciste.

Je ne crois pas que mes étudiants appréciaient ce genre de démonstrations, ils se rendaient bien compte que ce n'était qu'une autre forme de racisme.

Il me semble que de tous, Siyoum Seklie était le plus gentil, le plus humain, le plus proche, malheureusement deux ans après son retour j'apprenais sa mort dans un accident de voiture.

Le racisme n'était pas unilatéral, je me souviens des problèmes que nous avions avec nos étudiants Ethiopiens.  Rien n'était jamais juste pour eux.  Lorsque je leur disais le matin "Bonjour, John !" , il me regardait d'un air féroce en me demandant pourquoi je ne disais pas "Salut mec" comme à tout le monde ? Le jour d'après je disais donc "Salut mec" et il me demandait d'un air encore plus féroce si je n'avais pas appris la politesse et si je croyais que je pouvais l'humilier parce qu'il était africain ? Dur, dur, dur, mais consolation, mes éthiopiens étaient parmi mes meilleurs étudiants.

Pour moi, venir de France, travailler avec des africains n'avait rien de nouveau, après tout, déjà en 195... combien y avait-il de têtes noires dans chaque classe du lycée ?  Mon époque était plutôt axée sur l'anti-asiatisme (strictement réservé aux hommes!  Qui peut être raciste envers une jeune fille annamite ou tonkinoise ? A cause de la guerre d'Indochine, puis plus tard nous avons été les précurseurs du racisme envers les Maghrébins.

Au début de mes cours j'ai eu droit à une mini-révolution, certains de mes étudiants s'étonnant que des personnes de leur importance recevaient comme lecteur un jeune de 27 ans sans expérience africaine.  Après quelques cours particulièrement ardus et des travaux de laboratoire difficiles, le respect mutuel était revenu.

Je n'ai pas été jusqu'à faire comme un collègue qui donnait aux étudiants des instructions fausses pour les travaux pratiques pour ainsi pouvoir ensuite, lui, réussir l'expérience.

Comme beaucoup de professeurs de cette génération j'ai aussi découvert les mérites de la pédagogie moderne, c'était l'époque où le professeur devait en faire le moins possible et tout devait être axé sur la participation.  Une fois en Zambie

J'ai réussi à tenir mes étudiants 6 heures en ne parlant que 20 minutes, mon record.

Si cette méthode est agréable, stimulante, elle ne donne certainement pas de meilleurs résultats que l'enseignement par forçage. Comprendre est agréable, retenir est pénible.

Au mur du laboratoire nous avions ce panneau qui finalement vaut pour toute la vie :

"Si tout va de travers,
Pourquoi ne pas lire les Instructions"

Comme beaucoup de lecteurs de laboratoire j'ai découvert la joie d'avoir soudain une vingtaine "d'élèves" pour faire les essais que j'avais toujours voulu faire et jamais eu le temps de faire, le seul problème étant de convaincre mon Supérieur que cela faisait vraiment partie du cours.  Mon Supérieur n'entrant au laboratoire qu'une fois par semaine et pour pas plus de 5 minutes, ce n'était pas très difficile.
Parmi mes étudiants j'avais aussi des étudiantes, cela peut sembler aller de soi aujourd'hui, à cette époque cela n'en était pas ainsi.

Une étudiante ougandaise, Priam, pleurait tout le temps, car nous étions déjà entrés dans l'époque des persécutions de l'Ouganda contre les Asiatiques et les Ougandais de mon cours, garçons dont je me souviens avec beaucoup de déplaisir, la harcelaient et ont gagné, elle a abandonné.


J'ai eu beaucoup de ressentiment contre mon étudiant ougandais, puis après les années passant, l'horreur croissant de jour en jour en Ouganda, je me suis demandé avec inquiétude ce qui avait pu lui arriver, certainement il n'aura pas su se faire oublier, quant à Priam, elle aura beaucoup pleuré, mais d'avoir été forcée de quitter le groupe lui aura peut-être sauvé la vie.  Mon bon gros de Tanzanie a disparu dans la masse de ces gens qui croisent votre vie et que vous ne revoyez jamais.

Une autre étudiante, je ne le savais pas, allait marquer ma vie.  Robina était de loin le meilleur étudiant, ce qui pour elle était un drame.  Si elle avait une meilleure note que les garçons, elle commettait une offense contre la tradition, une femme ne peut pas être intellectuellement supérieure à un homme, si elle avait une note inférieure à un ou deux garçons, alors elle était tellement honteuse de sa performance qu'elle ne venait plus au cours pour un ou deux jours.  Les cours étaient presque un enfer pour elle, lorsque je posais une question demandant une analyse logique, Robina arrivait à la solution, certainement plus vite que les garçons, probablement plus vite que moi, Que devait-elle faire ? Se taire ou donner la solution ?

Cette condition de femme africaine surdouée était si pénible que 20 ans plus tard elle du quitter son poste au Ministère pour se reposer sous traitement médical.

Les cours étaient pour Robina à la fois une nécessité, parce qu'elle voulait participer, mais aussi un drame, elle a donc résolu le problème en arrivant toujours 20 minutes en retard ce qui me mettait dans des crises de rage.  Dix ans plus tard elle devait continuer en arrivant aux séminaires internationaux avec une bonne demi-heure de retard en plus de l'heure de retard obligatoire, mais son arrivée faisait toujours sensation, coiffure montante, robe type Afrique de l'Ouest, un spectacle qui réjouissait les participants mais peut-être pas tellement le Président de la séance et le présentateur qui avait tendance à perdre le fil de ses idées.

Mon étudiante Ethiopienne, Aselefetch, était encore plus ombrageuse que mes étudiants éthiopiens.  Elle avait un caractère de fer, ce n'est pas elle qui aurait pleuré en classe.  Par contre, arrivée au Kenya, pour les travaux de terrain, elle se rendait compte qu'il était plus pratique de mettre des pantalons, elle mettait donc des pantalons, et pour que le compte soit bon, une jupe par-dessus.

En Suède le cours fut pour le moins orageux, je ne me souviens plus vraiment pourquoi, mais nous avons eu droit à des lettres publiques de protestation dans le journal de Uppsala, à une réponse de l'Agence, à des grèves d'étudiants (même à une grève de tout le corps enseignant à laquelle je n'ai pas participé, je ne voyais pas pourquoi mes étudiants devaient prendre du retard pour des affaires suédo-suédoises).

Après trois ans l'activité fut interrompue, le Programme considéré comme un échec ; nous, les professeurs, avons certainement ressenti avec amertume cet échec, et pourtant, 10 ans plus tard je retrouvais mes étudiants dans des postes de très haute importance et je constatais que la discipline qu'ils avaient acquise en Suède avait servi à quelque chose.  J'ai surtout compris combien il est difficile d'évaluer une activité, c'est un peu comme si vous vouliez évaluer une pyramide en ne regardant qu'une face pendant un temps limité.

Avec mes étudiants, je passais 6 mois à Uppsala, en cours formels et exercices de laboratoire, et six mois au Kenya.

Chaque étudiant avait un thème de recherche pour sa thèse, certains creusant des profils pour des études pédologiques, d'autres étudiant la morphologie du terrain.

Siyoum faisait une étude de l'hydrologie de la région.  Près de la ville de Kericho il avait installé un petit barrage artificiel avec une fente en "V" et il mesurait plusieurs fois par jour le débit d'eau, surtout pour voir le temps de latence entre la pluie et l'augmentation du débit de la rivière. La population locale tenait un oeil attentif sur ces travaux sans que nous le sachions jusqu'à ce qu'un conseiller municipal vienne nous rapporter que le bruit se répandait que Siyoum venait chaque jour empoisonner la rivière pour tuer le poisson.  En y pensant bien, c'était vraiment la seule explication logique à ce comportement.



Nous avions l'habitude de travailler le plus près possible des écoles et des églises pour éviter les palabres avec les agriculteurs.  Je crois qu'il devait y avoir une école tous les deux kilomètres ce qui nous facilitait beaucoup la vie.  Nous avions choisi une de ces écoles et avec l'autorisation du responsable nous avions ouvert une coupe pédologique, ce qui représente un trou de 2 mètres de long sur 1 mètre de large sur une profondeur variable dépendant de notre état de fatigue.

Au deuxième jour les anciens sont venus demander au responsable de l'école pourquoi eux, les anciens, n'avaient pas été informés qu'un enfant avait été tué par la voiture des étrangers, et pourquoi l'enfant allait être enterré à l'école et pas au cimetière ?


C'est en creusant ces profits pédologiques autour de l'école que j'ai remarqué une différence de culture entre mes étudiants et moi-mème ?  J'avais l'habitude depuis le temps ou j'étais ouvrier agricole en Suède d'essayer de donner l'impression de travailler dur lorsque quelqu'un passait le long de la route, d'ailleurs je pouvais être sûr qu'automatiquement, si je me reposais un moment appuyé sur ma pelle l'inspecteur allait passer avec sa Jeep et s'arrêter pour me demander si ma pose pour le "monument à la gloire de l'ouvrier agricole" allait donner une belle oeuvre d'art.  Mes étudiants par contre cessaient de travailler dès que des villageois passaient le long du sentier, c'était dégradant pour eux d'être vus en train de faire du travail manuel.  Mon étudiant du Lesotho conservait son ongle extra long, symbole de l'homme qui n'a pas du faire de travail manuel.


Vous voyez une différence, vous ? On écrivait des pages sur ces différences.

Au début mes étudiants en pédologie furent très en colère lorsqu'ils découvrirent que j'attendais d'eux qu'ils creusent les profils pédologiques et que je n'avais pas l'intention d'engager des ouvriers, puis au bout de quelques profils ils ont compris comme moi qu'une terre ne peut se vivre que la pelle à la main, qu'on ne sait vraiment ce que c'est qu'une accumulation d'argile que si on a creusé à travers cet horizon.

Pour vous, ce n'est que le terre rouge.
Pour un pédologue, cette grande question: Cette bande noire, est-ce une éruption volcanique ou un feu de forêt?


C'est aussi en creusant qu'ils découvrirent que deux profils à 100 mètres l'un de l'autre peuvent être entièrement différents.  Une fois que la terre était bien entrée dans le corps nous avons engagé des ouvriers pour nous aider.

Les cultures qui acceptent de pousser
Sur cette terre de brique
Ne sont pas nombreuses.
Le thé est un miracle donné par les dieux.

Creuser un profil commence toujours dans la facilité, les 20 premiers centimètres partent presque tout seul, puis vers 40 centimètres vous tombez sur la couche d'accumulation, une couche lourde, compacte qui résiste avec acharnement, et, pour peu que la terre soit un peu mouillée, la terre colle à la pelle.  La terre peut être si compacte que vous voyez les racines dévier à ce niveau, incapables de descendre plus bas.


En général, si on suit la théorie, on doit creuser jusqu'à ce qu'on trouve la roche mère, le problème dans les hauts plateaux étant que la roche mère n'est pas comme en Europe à 1.5 mètres, mais peut-être à 10 mètres de profondeur.  Une fois par obstination nous avons creusé jusqu'à 5 mètres puis nous avons du abandonner parce que cela devenait trop dangereux, et monotone, c'était la même terre décimètre après décimètre, sauf parfois lorsque nous tombions sur des couches noires qui sont soit les traces d'anciennes éruptions volcaniques, soit les traces de feux de forêts.  Lorsque nous avons creusé à 5 mètres de profondeur le travail n'était pas pour rien car nous avons ainsi pu placer des sondes thermiques.

Lorsque nous creusions des profils dans la forêt nous étions toujours empoisonnés par de petites mouches qui tournaient autour de notre tête et devaient piquer, j'ai fini par laisser pousser la barbe, j'ai quitté le Kenya, mais la barbe est restée.

Nous creusions le matin, l'après-midi je donnais cours ou j'essayais de donner cours, car régulièrement, à 3 heures de l'après-midi l'orage arrivait, la salle de cours ayant un toit en tôle, il ne me restait plus qu'à libérer les étudiants pour "des travaux individuels".


Nairobi



Ce qui est devenu une énorme cité avec son corollaire de crimes, de trafic, de pollution, de ce temps-là n'était encore qu'une charmante ville qui se réveillait de l'ère du colonialisme et vivait encore à l'heure anglaise.

Au début de mon contrat au Kenya je n'étais qu'un oiseau de passage, je vivais à l'hôtel.  Soit j'ai grandement impressionné l'Agence par mes qualités de travailleur, soit le prix de l'hôtel est devenu prohibitif, je me suis retrouvé peu à peu dans des appartements de passage.


Mon premier hôtel fut le Fairview.  C'était un admirable hôtel qui ressemblait plus à une pension de famille. Il était en dehors des limites de la ville Centrale, sur la colline surplombant Nairobi.
Arrivé au Fairview je me suis dit qu'il était de mon devoir de jouer  au touriste.  J'ai donc pris mon équipement léger qui consiste en:

    un appareil photo avec objectif de 50, un appareil photo avec téléobjectif, le sac de films et de filtres.
·     Le posemètre.
·     un sac avec argent et pièces d'identité.
·     Le chapeau de brousse (pour aller au Centre ville?)
·     Un plan de la ville et une boussole (la famille vit avec des boussoles).

Sur le plan de la ville j'ai cherché le Centre ville.  Ceci n'est pas trop difficile: vous ouvrez le plan en grand sur votre lit, vous tracer une diagonale depuis l'angle supérieur gauche, appelons cette diagonale AB et une diagonale à partir de l'angle inférieur gauche, appelons cette diagonale XY, l'intersection de AB et de XY vous donnera un point que nous pouvons appeler " C " pour Centre ville, le point " C " en l'occasion se révélant être Kenyatta Avenue.  J'aurais pu le deviner sans lire le plan de la ville.  Vous repliez le plan (un test d'intelligence infaillible est de mesurer la différence entre le temps qu'il vous faut pour ouvrir un plan et celui qu'il vous faut pour le replier) ; la technique de la boule de papier n'est pas à mépriser.

J'allais surtout en ville pour m'équiper dans le style recommandé (par qui?)




Ainsi donc, muni de cet équipement  léger,  je trouve un autobus qui dévale la côte du Fairview vers la ville, J'embarque. Le plan à partir de ce moment ne sert strictement plus à rien, essayez donc de trouver la place d'ouvrir un plan dans un autobus de Nairobi.Arrivé au Centre ville je fais appel à tous mes souvenirs, il faut se rappeler que c'est la première fois que j'entre dans Nairobi.

Voyons un grand rond point, une grande avenue, des virages à gauche, des virages à droite, pourquoi est-ce que l'autobus ne va pas tout droit pour arriver dans quelque chose qui pourrait être le Centre ville.  

Bizarrement Kenyatta Avenue a été rebaptisée depuis que j'ai quitté l'hôtel et s'appelle maintenant Duke street.  

Je ne suis pas un touriste à se formaliser pour si peu, je prends mes appareils photos et je me promène dans Duke Street.  

On me regarde d'un air comme si tout n'était pas normal.  Ce n'est que bien plus tard que j'apprendrai que j'étais dans l'allée des voleurs, allée où il était recommandé de mettre deux caleçons puisqu'ils vous volaient jusqu'à votre caleçon.  Tout se passa très bien et j'ai toujours recommandé une visite de Duke Street à tous mes visiteurs.

De toute façon je devais plus tard rendre Kenyatta Avenue mémorable.  Mon patron (bien-aimé) nous ayant acheté une énorme Land Rover bien usée, (l'argument de vente qui l'avait convaincu étant que la Land Rover était la seule voiture ayant 12 ouvre bouteilles, ce qui est vrai), cette Land Rover regrettait d'être équipée d'une batterie.  De nombreux mécaniciens avaient enfoncé des clous, des vis, des clamps pour essayer d'assurer le contact, les résultats étaient optimistes mais pas convaincus.  

Mon énorme Land Rover a donc décidé un jour qu'elle désirait se reposer sur Kenyatta Avenue, ce qui est comme d'avoir une panne de moteur sur le périphérique.  J'avais donc le plaisir d'essayer d'emprunter des allumettes, de dévisser les contacts de batteries avec mon couteau suisse de Hong Kong, de forcer les allumettes dans les contacts, d'acheter des chewing-gum pour avoir des papiers d'aluminium à coincer dans les pâles et comme le voulait la tradition, une demie heure plus tard je repartais au grand soulagement des autres automobilistes et à la grande déception de mon public qui devenait de plus en plus enthousiaste face à ce spectacle gratuit.  

J'aimerais dire que je suis reparti grâce à mes talents supérieurs de mécaniciens, en fait ce fût le système africain, 20 enfants poussant la Land Rover.

Je profite de ce cours d'automobilisme pour vous expliquer que lorsque celui qui vous précède agite la main en cercles par la vitre, ce n'est pas pour saluer un ami sur le trottoir comme en Italie, ce n'est pas un signe politique comme en Algérie, ce n'est pas pour prendre l'air comme en France, c'est pour indiquer qu'il va tourner du côté opposé à l'endroit qu'il signale.  Ceci est une logique anglaise.

Le dimanche soir lorsque je me promenais en ville, revenant à pied à travers Uhuru Avenue (avenue de la Liberté) je traversais le parc où toute la communauté indienne faisait sa promenade du soir, exactement comme en Espagne (les espagnols, pas les indiens), d'ailleurs je n'ai jamais été en Espagne.  Les jeunes filles marchaient par groupe de deux ou trois dans leur magnifique sari qui les rend toutes belles, suivies à 20 mètres par la mamma, une personne imposante par le poids.  Dire que ces frêles jeunes filles deviendront elles aussi dans 10 ans ces impressionnantes matrones. Les jeunes gens eux, pouvaient se promener seuls.  Lorsque je voyais leur grâce et élégance, j'avais l'impression d'être un tas de boue.Si les matrones étaient suffisantes pour éviter les regards trop appuyés, les yeux des frères et cousins vous décourageaient certainement de vous engager dans une croisade pour le rapprochement des peuples.

A mon premier repas au Fairview, un serveur habillé en veste blanche, pantalon noir et pieds nus, m'a donné une longue carte de plats.  J'ai cru qu'il s'agissait d'un menu où il fallait choisir, j'ai donc choisi du poisson et des desserts.  Il a eu l'air surpris, pourquoi?.  Il m'apporte deux petits bouts de poissons, de quoi remplir deux cuillères à soupe! Heureusement que les desserts étaient en buffet, service à volonté.  Le lendemain j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'un menu, mais de la liste du menu complet du repas avec entrées (soupe), entremet poisson, viande avec deux légumes, desserts, et après le dessert les fromages (un morceau), le café. Monsieur est servi dans le salon.  Je ne risquais pas de mourir de faim.

C'est aussi au Fairview que j'ai appris que si on ne donne pas des ordres très strictes, on vous réveille à 6 heures du matin pour le " early morning tea, jambo sir, habari? ". Ce qui est du très mauvais Swahili, mais au moins ça réjouit énormément le serviteur de réveiller ce touriste.  Dire que c'est à cause de cela que je continue, 30 ans après, à jouir de mon " early morning tea ".

Même si Nairobi était encore une petite capitale, nous étions fiers des embouteillages sur Uhuru Avenue le soir à 5 heures, à la sortie des bureaux lorsque le troupeau assoiffé se précipitait des bureaux vers les bières fraîches qui attendaient.  Dans un souçi d'efficacité de rationalisation et d'organisation des transports, des citoyens prêts à se sacrifier quittent les bureaux dès 15 heures (3 p.m.), certains n'y retournent pas après le repas, ce qui allège le traffic et montre une remarquable science du talayroisme et du stakanovisme.

Pour les rendez-vous pas de problèmes : on disait " à 11 heures ", sous entendu au Thorn tree où on pouvait regarder avec mépris les touristes.



Annie et moi avions tout compris de travers à Nairobi.  Un exemple de grande privation c'était de ne pas trouver de film super 8 Perutz et de devoir utiliser de l'Agfa.  Par-dessus je n'ai pas encore compris comment le film était moins cher à Nairobi qu'à Stockholm, et nous ne nous en  étonnions même pas. Nous ne nous sommes jamais posé la question de savoir  ce que nous devrions faire si pour une raison ou une autre il n'y avait plus d'approvisionnements.

Faire son marché à Nairobi était une joie.  Dix ans plus tard faire son marché à Lusaka devenait un cauchemar, et 20 ans plus tard faire son marché à Lubumbashi fut simplifié au maximum par le fait qu'il n'y avait strictement rien à acheter si on n'avait pas de dollars ; et je n'avais pas de dollars.

Le marché couvert, presque au Centre de Nairobi ressemblait à la Gare Saint Lazare moins les trains plus les légumes. Deux étages de légumes, fruits et d'objets artistiques. Une zone de discorde aussi entre jeunes époux.  Mon épouse par jalousie envers le " look " fantastique que cela me donnait prétendant que je n'avais pas besoin d'un cinquième bush hat, moi, plein de bon sens et de compréhension essayant de lui faire comprendre calmement (pourquoi est-ce que tout le monde se retourne et me regarde ?) qu'elle n'a pas vraiment besoin d'un dixième sac à main tressé en corde de sisal même si le dessin est si merveilleusement artistique.  Les connaissances en mathématique et théorie des groupes de mon épouse doivent être bien supérieures aux miennes car le volume des achats dépassant régulièrement le volume des sacs nous nous retrouvions à acheter encore un cabas, justement il y en a un là, avec de merveilleuses   couleurs "terre africaine"…..alors qu'il aurait été si simple et pratique d'acheter un bush hat et de mettre les mandarines dedans, mais que voulez-vous les femmes n'ont pas le sens des économies qui profitent.

Lorsque nous sortons du marché couvert nous portons chacun deux cabas pleins de fruits et légumes (dont un charmant cabas avec un dessin tout à fait original), nous avons des oranges et des mandarines plein les poches et dans la bouche encore une banane, tout cela pour la somme exhorbitante de 20 shillings, soit quelque chose comme 5 minutes de mon salaire ou une grande journée de salaire pour un serviteur, ou 10 fantas à la terrasse du New Stanley.

Dans les cas d'achats importants vous sortez du marché couvert avec une caravane de porteurs qui vous accompagnent jusqu'à votre voiture.  Les problèmes mathématiques réapparaissent car vous êtes convaincu d'avoir pris un porteur au marché, pourtant arrivant à la voiture vous avez 4 porteurs et deux enfants, chacun d'eux clamant fortement et de voix bien audible que lui et lui seul est l'authentique porteur qui doit recevoir le salaire, les autres n'étant que de sales profiteurs.  La situation n'est peut-être pas simplifiée du fait qu'autour de la voiture vous avez deux hommes qui se disent chacun être le gardien officiel.  En tout, autour de la voiture vous avez donc de 4 à 5 adultes ayant une juste revendication à exprimer, quelques enfants essayant de voir si vraiment cette banane est mure, et quelques épouses qui s'étonnent de votre incapacité à résoudre un problème aussi simple.  Ces épouses exprimeront ensuite des remarques encourageantes lorsqu'elles découvrent que les ananas ont été mis au fond des cabas avec tous les autres achats par dessus.  Pourquoi ces commentaires? Le jus d'ananas, c'est très bon! Vous pourriez objecter que les oignons au jus d'ananas, les bananes au jus d'ananas, les coussins de voiture au jus d'ananas c'est beaucoup, peut-être même trop, encore qu'il paraît que l'ananas contient un produit chimique qui est excellent pour quelque chose (pour les coussins de voiture?).


Il se trouve que le restaurant chinois " Chop sticks " est à quelques pas du marché couvert, il semblerait criminel de ne pas passer par là pour reprendre des forces.

Si nous avons résisté à la tentation de tout acheter au marché couvert, nous pouvons passer par Bazaar Street (n'existe plus depuis l'africanisation des commerces), avenue dans laquelle vous trouverez plus d'une vingtaine de boutiques vendant du curry.  Cela me rappelle le jour où, enfant, voyageant avec mes parents en Hollande, papa a voulu acheter un cadeau pour grand-père: nous sommes entrés dans une boutique spécialisée en tabacs et papa a demandé " une boîte de cigares ". Il semblerait que ce n'est pas ainsi que les connaisseurs formulent leur requête.  Pour en revenir à Baazar Street, vous, étranger, vous rentrez dans la boutique et vous demandez du " curry "; ils sont polis, ils ne se moquent pas de vous.  Ayant pitié de votre ignorance, le spécialiste prend dans les 9 pots principaux les ingrédients qui vont faire le curry.  Les 8 premiers pots sont les ingrédients de base, le 9ème est un mélange de 8 épices.  Pour vous il le fait très très " mild ", vous en achetez un paquet grand comme un paquet de gauloises, 2 ans après vous en avez encore tellement c'est fort.  En un sens vous ratez le meilleur car lorsque la cuisinière indienne utilise elle- même ses épices, c'est l'odeur merveilleuse qui vous prépare à un repas inoubliable.  Pour le lecteur non averti, le fait que le curry soit fort n'a rien à faire avec la qualité du curry.  Vous pourriez faire un curry qui soit presque aussi doux que du petit lait et ce serait encore du curry.

La dernière année à Nairobi nous avions fait de grands progrès en Swahili grâce à la criminalité.  Ainsi nous avons pu doubler notre vocabulaire.  En plus de la phrase essentielle indiquant que les hippopotames se rendaient à la rivière, nous avons été forcés d'apprendre " Lala chini " qui était le cri des braqueurs de Banques.  Je crois que la traduction était " couchez vous ". Pourtant on ne peut rien reprocher au Service de Sécurité des Banques, chacune semblait avoir accès à un hospice pour vieillards affaiblis, lesquels dûment munis d'une arme aussi meurtrière qu'un manche de pioche (très pratique pour s'appuyer dessus) et d'un casque de travaux publiques, gardaient la porte de la Banque.  Des britanniques d'une rare méchanceté on trouvé étrange que ces vieillards étaient toujours aux toilettes ou autre part juste au moment où la banque était attaquée.  La méchanceté des gens!

Les banques étaient des banques anglaises au Kenya.  Que Barclays soit quelque part en Angleterre ou au Kenya, c'était le même Barclays, enfin c'était presque le même Barclays.

Derrière les guichets se tenaient les caissiers.  J'allais dire qu'ils trônaient, ce qui est parfaitement juste mais techniquement inexacte pour des gens qui se tiennent debout.


Les caissiers étaient des Sikhs.  Des hommes longs, maigres, turbannés, turbannés en haut pour les cheveux, turbannés en bas pour la barbe, turbannés sur les côtés pour les joues.  La tête est haute, haute, penchée légèrement en arrière (d'où l'expression anglaise " looking down your nose ", méprisants, suprêmement méprisants de tout et de tous.  Ce qui est incompréhensible, c'est que dans les histoires indiennes les Sikhs sont censés tenir le rôle de l'idiot.

Vous arriviez au guichet, donniez votre chèque, le caissier le posait en haut de la cage, cliquait avec son stylo sur la vitre, un coursier noir arrivait (ou n'arrivait pas) qui portait votre chèque à la vérification.  Puis on attend, on attend, on attend.  Le chèque revient, le caissier, si il est dans un bon jour, daigne se retourner et le prendre.

Deux cas possibles, le chèque est accepté parce que le compte (le votre) est approvisionné.  Souvent votre chèque vous est retourné parce que la signature n'est pas valable.  Le vérificateur pose votre signature témoin sur votre signature chèque et à la moindre déviation, le chèque est refusé.  Les vérificateurs n'étaient pas encore assez vicieux pour se douter que le vrai faux chèque était celui où la signature était une copie parfaite de la signature témoin.

Supposons que votre chèque soit reconnu bon, votre caissier Sikh plonge sa main dans la masse des billets, en ramène un tas, aligne les coupures, puis il prend le tas d'une main, fait glisser son pouce sur la tranche les yeux fixés au plafond, et sans rien recompter, vous tend un paquet de billet ; le compte est toujours juste, inutile de recompter.

Puis un jour ce qui était annoncé depuis longtemps est arrivé, les fonctions ont été africanisées.  Nos Sikhs ont disparus du jour au lendemain et été remplacés par de timides jeunes femmes noires. Que le Sikh ait eu une carte d'identité kenyenne ou pas ne change rien à l'affaire.

Un jour il faudra que je vous raconte ce que c'est de vivre lorsque le Gouvernement décide soudainement que les vieux billets ne valent plus rien et qu'ils faut tout changer, de préférence la semaine prochaine, contre les nouveaux billets, qui de toute façon ne sont pas encore imprimés.  Ou encore comment c'était au Shaba où on utilisait les billets de Mobutu, les anciens billets et les dollars et qu'il fallait savoir que 5 millions de Mobutu nouveau c'était la même chose qu'un million de Mobutu anciens.  Ou encore au Kasaï où les billets Mobutu nouveaux n'étant pas acceptés, les billets anciens de ce fait ne l'étaient pas non plus et lorsque la population a commencé à faire tous ses achats en dollars et en diamants, les militaires ont flairé la belle occasion et tout confisqué.  Ou le jour où les militaires zairip ont confisqué les billets de banques parce qu'ils étaient évidemment faux puisque a président portait une cravate, lui qui avait inventé " l'abcosse".

Ceci à quelque peu transformé la procédure de paiement.  Le chèque approuvé arrivant dans les mains de la caissière, celle-ci commençait par le regarder d'un air effaré.  Le client n'ayant pas l'air de disparaître, il fallait bien se mettre à compter les billets.  Elle prenait un paquet de billet d'une main tremblante et commençait à compter, un billet, deux billets, trois billets, quatre billets, pendant ce temps là la queue s'allongeait et les grognements des clients devenaient de plus en plus audibles, tellement que la caissière levait la tête.  Oh malheur ! à combien était-elle?  Alors elle remet les billets en tas et recommence, un billet, deux billets, trois billets.  A la fin du compte de chaque dénomination elle coche sur un formulaire.  On arrive au compte final, le client (moi) se dit, ça y est, je vais recevoir enfin mon argent, c'est alors qu'elle regarde le formulaire et un doute se glisse dans son esprit, les billets de 50 shillings, est-ce que cela pouvait vraiment bien être cela? ; et elle reprend les billets de 50 shillings et recompte, un billet, deux billets, trois billets ....

Quelques mois plus tard, elles étaient aussi habile que nos Sikhs mais d'une autre manière, elle réussissaient à faire leurs comptes, bavarder avec le client, répondre à la copine d'à coté et tout cela avec le sourire.

Bon avoir de l'argent c'est bien, ce n'est que le début.


Ma tendre enfance...

C'est Nisse qui me demande de parler davantage de mes soeurs et de mon frère Verner. Verner , mon aîné de deux ans, n'était pas favorisé d'arriver dans ce monde en tête de quatre frères et sœurs, un rôle ingrat dont nous ne nous sommes jamais rendu compte, à vrai dire. Irène est née en 1913, Verner en 1906. Ma mère, Emma, d'un dévouement familial incroyable, travaillait du matin  au soir pour tenir ses cinq enfants propres et "bien élevés", et je crois qu'elle ne s'est jamais offerte la moindre distraction, ni cinéma, encore moins le théâtre - et le restaurant était pour elle et les enfants "un endroit où l'on boit (trop) de brännvin"...

Verner et moi sommes entrés au Lycée de Jönköping en même temps et dans la même classe, et nous avons fait chemin ensemble jusqu'au bac le 6 juin 1925. Le lendemain, il partait au service militaire à Karlskrona. Je n'ai jamais compris pourquoi il était classé "marin". Enfin, avec des yeux faibles, il est devenu "scribouillard à la Marine Royale" - tandis que le "petit William", pas encore 17 ans, était envoyé dans une ferme près de Bunn, un lac charmant à 25 km de Jönköping, grâce à l'intervention de mon école. Logé, nourri et sensé travailler un peu à la ferme. A une autre ferme se trouvait un autre "student" - et le soir, nous étions libres pour faire du bateau, ramasser des écrevisses (!) ou jouer des jeux innocents avec d'autres jeunes voisins.

Je suis tombé discrètement amoureux d'une très jeune étudiante en pension à Bunn - mais j'ignore encore ce jour si mes sentiments étaient unilatéraux... Début août, retour à Jönköping pour commencer à une école (mixte) de Commerce, une toute petite école privée et bon marché. Le Patron était le seul enseignant, il prisait régulièrement du tabac à priser, et il éternuait ! Je crois que nous étions cinq élèves dont deux filles. L'enseignement était NUL... mais cela m'a toujours servi de "référence" d'avoir fréquenté UNE ECOLE DE COMMERCE ! Qui en dehors de ma ville, pouvait savoir ce que c'était "Ohlssons Handelsskola" ?

Je suis parti à Paris, seul et presque sans argent, et je n'ai pas mis longtemps pour m'apercevoir que ma place de "volontaire" à la Chambre de Commerce Suédoise de Paris ne valait rien - et je n'avais aucune valeur pour cette Institution très snob (à l'époque). Ensuite commence la spirale d'emplois pour ne pas mourir de faim.

Verner était revenu à la maison après quinze mois de service "militaire". La Suède subissait un chômage terrible, les Universités et les Hautes Ecoles fermaient les portes pour limiter l'affluence vers les métiers libéraux, pas d'embauche nulle part ! Les industries licenciaient - et l'Etat créait du travail de dépannage à gauche à droite, par exemple fabriquer du macadam à la main ! Quel massacre des mains ! Enfin, Verner a trouvé deux élèves en math et anglais, deux enfants d'une famille juive marchande de vêtements. Mais lorsqu'il a demandé un acompte, la réponse était invariablement "Demain vous pourrez choisir une belle cravate dans notre magasin...", autrement dit il était toujours roulé et ne devait jamais défendre ses intérêts. Pas question de trouver un emploi à Jönköping - et en désespoir de cause, ma mère m'a écrit pour que je trouve pour Verner un emploi à Paris. J'avais quitté Dormeuil Frères et j'ai proposé Verner comme "successeur" ce qui a été accepté. Verner avait de très bonnes connaissances "dictionnaires", et il pouvait passer des heures à chercher des définitions ce qui était totalement inutile pour son travail et le retardait beaucoup. Le pire c'est qu'il voulait souvent "défendre" son choix de traduction vis-à-vis de son cher Monsieur Meyer, un sportif du Racing pour qui seul le résultat du travail chez Dormeuil comptait ! D'où frictions, disputes - j'ai été convoqué une fois chez Dormeuil pour sauver la place de Verner mais cela n'a pas duré longtemps. Il ne POUVAIT pas comprendre pourquoi la vie pratique était plus importante que les finesses d'un dictionnaire - et le pire, il manquait totalement de la souplesse indispensable devant un CHEF - "UN CHEF A TOUJOURS RAISON MÉMÉ QUAND IL A TORT !".

Comble de "bonheur", Verner tombe amoureux  d'une jeune fille de Pantin - et bientôt Renée annonçait qu'elle attendait un enfant...

Pauvre Verner, il était très tôt un érudit mais sans aucun sens pratique. Antisportif, il n'entrait jamais dans ma "bande de sportifs suédois à Paris", il était heureux - je le crois vraiment - avec Renée, il s'enfermait dans des recherches de "racines d'expressions" et d'autres "études" aussi inutiles dans la vie d'un jeune pauvre. A son retour en Suède, il a encore travaillé comme "enseignant pour des enfants retardés". Et il s'est toujours fait posséder. Finalement, un camarade du Lycée lui a donné un petit travail à la Banque de Suède à Stockholm, et sa dernière grande passion (ou première ?) était un chien énorme qui n'aimait que son maître et avec qui il passait presque tout son temps libre. Peu de temps après sa retraite, il est mort.



Et les trois soeurs ?

Ethel et Milly ont fait l'école communale, Irène le Collège du fait qu'à ce moment, la situation financière de la famille s'est améliorée un peu. Ethel a fait une petite école dentaire et a trouvé une place à Hörby où elle a également trouvé son premier mari, Sven Fogelberg, avec qui elle a eu deux enfants, Leif et Anita. Sven avait un bon emploi en "import-export" - mais il est mort à cause d'une tumeur au cerveau, opérée une première fois mais revenue... Elle s'est remariée avec Rolf Fundgren décédé en 1985. Une femme d'un très grand courage - mais le soleil n'a pas toujours brillé sur sa vie. Au moment où j'écris ces "Mémoires", Ethel est malade mais avec peu d'espoir pour les deux années à venir...

Milly a toujours été "rondelette". Elle aimait les bébés et plaisait "instinctivement" à tout le monde. Pas très courageuse, ni intelligente mais avec une grande facilité de s'adapter aux circonstances ce qui parfois vaut mieux que d'être très intelligent. Elle avait beaucoup d'amis - en toute innocence ! - mais ne se gênait pas pour sortir avec un ami et rentrer avec un autre ! Bonne cuisinière pour les desserts mais peu intéressée par un travail quelconque. Epouse Ake Hakansson, sa copie masculine... Pas d'enfants. Ake mort vers 1978. Une vie plate, sans le moindre souci économique, dans un égoïsme assez marqué. Irène était notre cadette, bonne sportive (saut en longueur, surtout). Plutôt dure de caractère, sans sentiments pour la famille. Epouse Stig Zetterberg, un "espoir" dans le groupe "Allumettes", très intelligent. Un enfant, une belle fille avec un caractère très agréable mais probablement peu heureuse avec sa maman...

A la mort de ma mère Emma, la famille s'est divisée en deux clans, CONTRE mon père Anders (Irène-Milly-Verner), POUR (Ethel et moi-même), et malheureusement (c'est une constatation trop tardive !) personne n'a jamais voulu prendre le premier pas vers une conciliation. La cause ? Mon père était le seul héritier (normal) et avec cela, il était un solitaire peu adapté à une vie calme.

Lorsque je réfléchis à ma famille de Jönköping, c'est avec des sentiments très mélangés. Ma mère avait été forcée d'élever cinq enfants souvent près de la famine et elle a réussi quelque chose d'admirable. Peu à peu, la situation s'est améliorée - mon père n'a pas hésité à faire la mer en pleine guerre - mais lorsqu'il est rentré "pour de bon", la famille n'était plus SA FAMILLE. Maman avait su s'occuper de tout TOUTE SEULE pendant de nombreuses années difficiles. D'accueillir tendrement un mari "indépendant" et pas du tout "souple" était au-dessus des forces réciproques. Mais l'armistice est arrivée comme toujours lentement et plutôt froidement - même si mon père dans son coeur avait un fond de tendresse pour Emma, une tendresse qu'il était trop "timide" ou "primitif" pour exprimer... sauf à la mort de Maman. Trop tard...

Mais il ne faut pas juger cette situation avec nos yeux de 1988 - tout était différent il y a 50 ans. Les "modestes" devaient se taire en tout ! Il aurait fallu - une phrase facile... ! - des voisins amis mais les pauvres n'ont pas de fréquentations... On s'enferme avec sa misère - et avec ses sentiments. Des vacances ? Mais à cette époque, on avait droit à une semaine ou plutôt à LA semaine de Midsommar, avec ou sans pluie. Pas question "d'aller en vacances" - pas d'argent. Mes grand parents étaient aussi pauvres et habitaient loin, loin pour le porte-monnaie.

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passé à une douzaine d'hommes et femmes qui ont vraiment fait quelque chose pour l'Humanité (Pasteur, Mme Cury, oui je cherche la suite sans trop d'espoir...)

Enfin, ne soyons pas pessimistes. La vie n'est pas facile - mais quand je pense que j'ai vraiment commencé à zéro, tout-à-fait en bas de l'échelle, comme "volontaire" à la Chambre de Commerce sans même savoir répondre "Hallo" au téléphone, ensuite comme "guichetier à une banque où mon travail consistait à multiplier tant de couronnes suédoises par le cours fixé par la Banque, déduire dix pour cent pour la Banque et remettre ma fiche à la caisse. Du matin au soir. Chez Dormeuil, rue Vivienne, le travail était quand même plus varié comme traducteur et chez SKF, j'ai appris que... "LE CHEF A TOUJOURS RAISON"...

SILVA a été la fin de ma vie "active", une belle expérience parmi des gens essentiellement sympathiques.

Pourquoi regretter mes "imperfections" ? J'aurais voulu devenir un "ingénieur civil" mais où trouver le temps et l'argent pour des études supérieures ? Si j'avais pu rester à FLÄKT Stockholm, on ne m'aurait pas refusé d'étudier tout en travaillant à la condition que "ça puisse servir la Société..." mais j'avais ma petite famille à laquelle je tenais énormément, j'avais mon sport, j'avais surtout mes engagements comme petit journaliste sportif à Idrottsbladet et un certain nombre de journaux de Provence, un "truc" qui rapportait pas mal d'argent dont nous avions besoin car FLÄKT Jönköping m'a embauché - il a profité du fait que j'étais sans emploi ! - à un tarif vraiment bas. Heureusement que les circonstances m'ont aidé assez rapidement pour une vie modeste mais sans problèmes.

J'aurais voulu apprendre à bien jouer au tennis, mais, bêtement, je ne voulais pas prendre de leçons, probablement parce que je trouvais que c'était trop cher ! Ma nature économe ! Plus tard, j'ai voulu apprendre à jouer au golf mais... j'ai toujours reporté le début... Ce que j'ai regretté de pas savoir chanter, encore moins jouer un instrument quelconque ! Heureusement que Colette est entrée dans ma vie avec ses dons !

Le sport m'a donné beaucoup de satisfactions à une période difficile où les jeunes déraillent facilement. Notre groupe n'était pas du tout des "abstinents" - mais le fait d'avoir un match le dimanche, freinait en principe les excès le samedi. Et - il faut bien dire la vérité, n'est-ce pas ? le manque d'argent ! Nous sortions rarement en bande - dans une ville énorme comme Paris, j'avais deux heures de métro et tram pour aller à Ivry-Port (SKF) et autant pour le retour, ce qui réduisait la semaine à "boulot-métro-dodo". Un jour j'ai acheté un vélo d'occasion - mais "on" m'a fait comprendre que ce n'était pas "comme il faut" pour un employé chez DORMEUIL de venir en vélo et avec casquette sur la tête... DORMEUIL, LA MAISON MONDIALE !

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Verner et son "petit frère Wille" passaient huit années ensemble au Lycée de Jönköping. Au début, nous avions à prendre le train local Bankeryd-Jönköping, et tous les mois, Maman avait à trouver les deux fois dix couronnes, non cinq cour. Parfois, nous ne pouvions pas payer au premier du mois, et deux fois, le chef du train nous a expulsé à Tranghalla... et nous avions à rentrer à pieds les cinq kilomètres restants... Mais un autre "chef" était plus humain et se contentait de nous gronder. Au Lycée, nous avions certaines années des "subventions" de vingt cinq couronnes, toujours bienvenues même si ces subventions nous classaient dans la catégorie des "pauvres mais méritants". Nous étions de bons élèves, moi en math et sciences modernes, Verner en histoire et langues modernes. Mais Verner voulait souvent chercher le "pourquoi des mots" tandis que moi, j'étais pressé de faire mes devoirs pour pouvoir taper dans le ballon avec des gamins qui, plus tard, allaient former Jönköpings Södra IF. On jouait entre les arbres dans une petite vallée et bien entendu sans arbitre... Verner a fait quelques essais mais avec des lunettes il n'avait vraiment pas de réussite.

Parmi les mauvais souvenirs du Lycée figure - la gymnastique à cause du professeur, un officier de réserve, antisport mais "garde-à-vous", copiant ses leçons sur un style militaire déjà périmé, un style que j'ai retrouvé en 1928 à Eksjö lors de mon service militaire, rigide et basé surtout sur "l'angle des pieds à 60°". Dans notre classe au Lycée, il y avait tout de même déjà 2-3 espoirs d'athlétisme - et ils se retrouvaient en queue de peloton... avec mon frère et moi. De temps en temps, notre officier ordonnait "visite des pieds" - et toutes les familles n'avaient pas de salle de bains - pour nous, le cabinet était dans le grenier et sans eau - ce qui fait que l'officier dans une joie sadique faisait aligner une bonne douzaine d'élèves vraiment "pieds noirs". Une fois l'un des deux fils riches présentait des pieds très noirs - mais notre officier ne les faisait pas "parader" sous prétexte que... les chaussettes avaient coloré... J'ai rencontré cet officier bien plus tard le lendemain d'une réunion d'athlétisme où j'avais gagné le javelot et la hauteur - mais il n'a pas voulu me reconnaître... mais il parait qu'il était "un timide" en civil...

A l'époque, donc vers 1920, il existait au Lycée une différence de considération entre élèves de parents riches et pauvres. Dans notre classe, certains professeurs étaient invités dans les quatre familles riches - un fabricant de bière, un haut magistrat, un colonel et cultivateur ayant fait son beurre pendant la guerre - et même si ces camarades étaient doués, les professeurs évitaient avec délicatesse des "colles". A notre age, on n'y pensait pas trop - à l'époque.

Un seul a failli devenir ministre mais il avait mal choisi son parti politique.

BRAHEGATAN 63 Villa TORPLYCKAN

Cet achat, réalisé surtout par ma mère, était un tournant dans notre vie familiale. A Jönköping, notre premier logement était à Lödöse, un bâtiment en cinq étages. Propriétaire JMW où mon père travaillait pendant quelques années comme contremaître. Toute la maison n'était que du personnel (surtout ouvrier) de JMW, et les querelles entre clans et familles ainsi que des scènes (le samedi !) d'ivrognes étaient normales. Verner et moi étions les seuls enfants à aller au Lycée où le port de la casquette spéciale était obligatoire. Des bandes voisines nous guettaient parfois mais les batailles étaient courtes. Lödöse n'avait pas une très belle réputation dans la ville - et il était hors de question d'inviter des copains du Lycée. Les habitants de Lödöse n'invitaient pas... et personne n'y allait.

Ensuite, nous avons habité à Trädgardsgatan, déjà beaucoup mieux, mais Maman trouvait, avec raison, et elle a fini par trouver un pavillon "dans les faubourgs Sud", une belle petite maison de deux étages. Le rez-de-chaussée était composé de deux petits appartements loués, le premier étage était libre pour nous. Que de problèmes pour Maman pour joindre les deux bouts ! Une banque nous a aidé suivant la coutume suédoise - mais il fallait payer les intérêts tous les trimestres ! Rien n'était moderne, les cabinets dans la cour, un chauffage rudimentaire etc. Après des années, nous avons pu occuper également le rez-de-chaussée et Maman a décidé d'installer des W-C sur les deux étages ainsi que des salles de bains. Quel luxe pour nous !

C'était assez loin du Lycée mais tant pis. Et bientôt, nous avions même un chien, un boxer DICK - au début nous étions obligés d'avoir un locataire d'une pièce et lorsqu'il nous a quittés, le chien est resté avec nous, à notre grande joie.

Je ferme ici les souvenirs plus ou moins clairs.

Est-ce un bien d'avoir atteint 80 ans ? Oui si l'on peut se retrouver parmi les siens, sans avoir eu à pleurer la perte d'un enfant ou petit-enfant. Et de voir que même si chacun a quelques problèmes financiers à résoudre, personne n'est "dans le besoin". Et notre merveilleux voyage de luxe aux Etats-Unis restera un des plus beaux souvenirs que l'on puisse s'offrir !

Mon premier souvenir bien vivant de mon enfance ?

C'est probablement une attente dans un grenier où mon frère aîné Verner et ma soeur cadette Ethel se sont cachés avec moi pour échapper à trois "femmes en furie" qui crièrent "... mais où sont-ils donc, les sales mômes qui ont troublé notre eau ?" Ma mère est sortie sur le palier avec sur ses bras la petite soeur Irène et en tenant à la main ma deuxième soeur Milly - mais Maman ne pouvait rien dire car elle nous croyait dans un champs en train de jouer à la Marelle.

Inutile de dire que nous avons été punis, assez durement d'ailleurs, car à cette époque, c'était vers 1913, la punition corporelle faisait partie de l'éducation normale et de la vie familiale...

Pourquoi ce souvenir domine t-il ? Qui le sait !

La famille était mon père, Anders Nilsson (puisque fils de Nils Andersson) Stalbrand, ma mère Emma Bengtsson (elle aurait pu s'appeler Bengtsdotter puisqu'elle était la fille de Bengt Svensson), mon frère Verner né en 1907, moi-même né en 1908, Ethel née en 1910, Milly née en 1912 et Irène née en 1913. Une famille de cinq enfants, oui, c'était normal pour l'époque, une époque sans Assurance Sociale ni Sécurité Sociale. Les riches restaient riches, une classe à part, les pauvres (comme nous) restaient pauvres, très souvent à cause des enfants en grand nombre qu'il fallait nourrir, habiller, envoyer à l'école communale où les enfants des riches avaient certains privilèges, par exemple de ne pas être "obligés" d'apprendre les devoirs et de ne jamais être punis par de mauvaises notes. Ceci était encore plus marqué à l'école "Lycée" où l'annuaire des élèves donnait toujours "Métier du père"...

MON PERE ANDERS

était né pauvre, un des dix enfants d'un petit métayer dans le Sud de la Suède (Nosaby près Kristianstad). Il était sûrement "surdoué" ce qui n'était pas bien toléré à l'époque pour un enfant pauvre. A la maison, il n'y avait qu'un livre, la Bible, et à huit ans il avait déjà appris par coeur plusieurs chapitres. Le maître d'école s'en est aperçu et a persuadé les parents (= le père puisqu'à l'époque la femme n'avait pas voie au chapitre !) de s'engager dans la marine.

Mon père était un matheux - et il l'est resté jusqu'à l'age avancé. Il a réussi à entrer dans une école de la Marine après avoir été graisseur, aide-mécanicien, ouvrier-mécanicien - à l'époque c'était vraiment une vie de chien de travailler "en dessous du pont" et dans une crasse terrible pour nous en 1983 ! - il a pu suivre des cours et sortir premier d'une école formant des "machinistes", un titre transformé plus tard, beaucoup plus tard, en "Ingénieur Marine".

Les lois disaient bien que pour un navire restant en mer plus d'une semaine, il fallait trois équipes complètes non seulement pour la navigation mais aussi pour les machines. Mon père m'a affirmé qu'en quarante années de service marine, les équipes n'ont jamais été complètes... Il fallait donc s'habituer à travailler quatre heures, dormir quatre heures, travailler quatre heures, dormir quatre heures, travailler quatre heures, dormir quatre heures et cætera pendant parfois cinq à huit semaines pour les longs voyages.

ET LA POESIE DE LA MER

Mon père ne m'en a jamais parlé. Nous pouvons toutefois supposé que l'on devient une brute "mécanique" et que lorsque le navire ancrait par exemple à Boston, tout l'équipage jeune se précipitait dans les quartiers du port à la recherche d'alcool - et de ce qu'il appelait "des aventures galantes". La vie du marin de long cours est une vie dure, monotone, très très mal payée dans le temps. Depuis, tout s'est amélioré, heureusement, mais "l'amour de la mer" reste un mythe romantisé et même glorifié... Enfin, lorsque mes parents parlaient de "métiers pour les enfants", mon père était catégorique - TOUT SAUF LA MER !

REVENONS A TIDAHOLM

où je suis né en 1908. A la maison, comme tous les pauvres de l'époque. Les cliniques étaient réservés à la haute bourgeoisie couronnée par la baronne von Essen, propriétaire du seul château régional HELLIDEN, un domaine d'héritage depuis l'époque où un chevalier "ayant bien servi son roi" recevait quelques villages ou même départements entier en "récompense". A part la famille Essen, notre ville de Tidaholm avec ses six milles habitants avait une douzaine de familles acceptées au château de Helliden. Le directeur de la seule industrie (fabrication d'allumettes), le (seul) quincaillier. Le directeur de l'école, le propriétaire du petit journal local, les deux médecins, le pasteur, un "docteur ès sciences" qu'il fallait appeler "Doktor Svenonius" parce qu'il avait passé vingt années de sa vie à l'université de Lund où il était inscrit à trois facultés sans avoir réussi à passer un degré aussi minime soit-il. On racontait dans la ville qu'à l'ouverture de chaque saison académique, il s'installait au premier rang, habillé en redingote et à la fin du premier cours, il se présentait au professeur en disant "... je suis le candidat Svenonius et nous pourrions nous retrouver ce soir pour une bouteille de "punch..." Effectivement, à partir de 15 heures, Svenonius était "parqué" à "sa" table où il recevait les hommages des jeunes étudiants. Il était d'une famille riche, mais le conseil de famille avait décidé qu'il ne pouvait toucher que les intérêts de son capital personnel ce qui limitait un peu les libations sans pour cela activer les "études". Mais à 40 ans, brusquement, il avait abandonné Lund et l'université un premier mai, ayant provoqué un scandale national par un discours "à titre de vétéran de cette boite infecte qui ne comprendra jamais à l'immensité de mon niveau intellectuel".

Le changement consistait surtout en un changement de décor - à partir de 15 heures, il s'installait régulièrement à "sa" table de Stora Hotellet à l'idaholm et c'est le Directeur lui-même qui prenait toujours sa commande - comme s'il ne savait pas d'avance que c'était invariablement un filet de hareng, deux verres de schnaps (alcool suédois) et une bière forte, suivi d'une omelette aux champignons et un café avec une petite bouteille de punch. Il n'exerçait aucun métier mais se vantait de poursuivre ses études très supérieures... Il était très respecté en ville - et un sujet inépuisable de bavardage dans une petite ville sans histoire.

J'ai oublié un personnage important -MONSIEUR LE CHEF DE GARE SIWERS. Il avait une belle casquette galonnée rouge, toujours un manteau bleu foncé, une canne avec une grande pomme luisante "pour arrêter le train si jamais les signaux normaux ne fonctionnent pas !" La casquette ne le quittait jamais de la journée, et sa manie était de se promener en ville et vérifier toutes les pendules et même l'horloge de notre église. Un homme distant - vous pensez qu'il était tout de même responsable du départ à la seconde de quatre trains par jour, et il n'avait jamais pris de vacances. Son fils Georges avait trois ans de plus que moi et était automatiquement notre chef de bande.

MES PARENTS ONT DEMENAGE

mais pour nous, les enfants, c'était moins bien. Dans la cour, il y avait une brasserie et ma mère me mettait toujours en garde contre les "buveurs". Il y avait aussi un vétérinaire dans la maison ce qui m'a mis en contact très tôt  le monde des animaux domestiques.

Ma mère Emma avait été très très jolie et gardait des traits fins jusqu'à la fin de sa vie. Née en pleine campagne, neuvième de onze enfants habitant une fermette sans confort. L'école communale, bonne à tout faire dès l'age de douze ans. Rencontre mon père et se marie, peut-être pour échapper à la tristesse d'épouser un ouvrier agricole et travailler dix huit heures par jour et mettre au monde un enfant par année dans une certaine indifférence du voisinage. Pourtant, sa mère a réussi une ambition - d'élever le niveau de vie de sa famille, de donner une bonne éducation à tous les enfants, souvent sans argent, sans aide.

Une Maman extraordinaire. Nous aurions du lui dire tous les jours combien nous l'aimions... mais nous ne l'avons pas fait... avant sa mort. Il paraît que c'est la vie...

LES VACANCES SCOLAIRES

se passaient toujours à la maison - nous n'avions vraiment pas d'argent pour voyager et les billets de famille n'existaient pas 8 Pensez donc - s'ils n'ont pas d'argent, ils n'ont qu'à rester à la maison, disaient les bourgeoises après avoir été à la messe...

Mais mon frère et moi avons pourtant fait une excursion ! Le livreur de bière a proposé un jour d'été à Maman "... la semaine prochaine, je vais livrer à vingt kilomètres d'ici dans une carrière calcaire et je pourrais peut-être emmener les deux garçons..." Quel événements dans notre vie ! Voyager, aller loin, voir quelque chose d'inconnu, passer une journée entière loin de la maison familiale... Une voiture à cheval, même à deux chevaux...

Pour moi, c'était une aventure merveilleuse. Sortir de ma petite ville pour la première fois, me rendre compte qu'il existe aussi la vraie campagne où l'on cultive le blé et les pommes de terre, visiter une carrière, manger des sandwiches (des smörgasar) préparés par ma mère - et revenir fatigué mais très content...

Nous étions toujours pauvres. Maman nous "tondait la crâne" et coupait les cheveux de mes trois sœurs. On se passait les vêtements au mieux. En été, nous étions nu-pieds ce qui était normal. On mangeait surtout des pommes de terre et souvent des harengs, le poisson le moins cher. Parfois le dimanche, on pouvait se partager une banane en trois bouts ou une orange en cinq. Et à tour de rôle, on aidait à la maison. On n'était jamais très malheureux ?

Pour Noël, nous avions chacun un - mais un seul - cadeau et nous étions tous contents. Peut-être parce que c'était comme ça, la vie modeste ?

ET L'ECOLE COMMUNALE

commençait. Il parait que j'étais doué - en tout cas, après six mois, on m'a mis d'office dans la classe au-dessus, sans problèmes.

Le grand changement était la première Guerre Mondiale. C'était très très dur pour Maman surtout, avec cinq enfants à nourrir avec nos cartes de rationnement. En 1916, mon père a obtenu un meilleur travail à Jönköping, nous avons déménagé à Bankeryd, un village à douze kilomètres de Jönköping, un village totalement dominé par le propriétaire d'une grosse ferme, Attarp, et le Maître des Ecoles, plus le Pasteur de la vieille école, dominateur, cruel condamnant tous à l'enfer si l'on ne respectait pas l'Evangile et l'Eglise protestante. Je crois que je n'ai rien appris pendant une année dans cette école "rétro" - si, comment on nettoie les jardins du Maître d'Ecole et ceux du Pasteur et comment on plante des arbres pour les gros propriétaires, amis de l'instituteur. Les punitions pleuvaient - sur les pauvre. Matin et soir, mon frère, ma soeur Ethel et moi avions quatre kilomètres à faire à pied dans chaque sens, parfois sous la pluie ou sous la neige. Une fois que j'avais les pieds totalement trempés, l'instituteur m'a fait savoir sur son ton accusateur "... si ton père était capable de gagner un peu plus d'argent, il pourrait t'acheter des bottes..."

La famille Stalbrand n'était pas bien vue à l'école. Peut-être parce que nous étions des "immigrés", peut-être parce que mon père travaillait à l'époque dans une usine, peut-être parce que nous n'étions pas des "piliers de l'église" - que sais-je ?

Un jour Maman a pris une décision très importante. Elle est partie en ville (à Jönköping) et pourtant elle était aussitôt malade dans le train, même pour vingt cinq minutes, elle s'est renseignée au Lycée des conditions d'admission de ses deux fils - et malgré l'avis défavorable du Maître d'Ecole local, elle nous a inscrit à un cours préparatoire pour entrer en "sixième" d'une durée de quatre semaines en plein été. Après une semaine, les professeurs ont conseillé "tout au moins pour l'aîné" de tenter l'entrée en cinquième, et finalement nous avons réussi tous les deux notre premier "concours".

Pour moi, à peine neuf ans et très petit pour mon âge, c'était probablement d'aller trop vite. En classe, j'avais vraiment des difficultés pour les "compositions en suédois" ayant "sauté" l'année de base où l'on apprend tout doucement ce que c'est par exemple le nominatif et le substantif et les formes de verbes - mais j'ai eu de la chance d'être bon en "math" et de bien apprendre mes devoirs en histoire et géographie. Mais j'étais un an ou deux plus jeunes que mes camarades de classe - et jusqu'à mon bac, cette "maturité" m'a manqué dans le contact entre camarades.

UN DERNIER SOUVENIR DE TIDAHOLM

"Les gosses Stalbrand" jouaient dans un champ à environ cent mètres de notre logement. Au milieu du champ, il y avait un caniveau plein d'eau. Verner, Ethel et moi étions en train de faire un canal - sans faire attention à la petite Milly, tout juste deux ans. Je vois encore mon père arrivé comme une locomotive... pour retirer Milly par les pieds du caniveau. Il avait vu la petite glisser, la tête en avant, de notre fenêtre - et il est arrivé à la dernière seconde pour la sauver de la mort.

Non, encore un souvenir de l'eau. Nous étions une petite bande de gosses de quatre à huit ans jouant suivant l'inspiration des "chefs". La baignade était une distraction favorite, la rivière Tidan traversant comme il se doit Tidaholm ("holm" = île). Un jour mon frère Verner glisse sur le fond glaiseux, pousse des cris et on ne voit que les bras lorsqu'il saute pour attraper un peu d'air. Je me précipite, bêtement, et nous voila tous les deux Stalbrand enlacés et avec de l'eau par-dessus nos têtes. Mais le courant nous pousse vers une partie moins profonde - et sans rien comprendre, nous avons pieds et pouvons sortir de l'eau, tous tremblants. Inutile de dire que nous n'avons rien dit à la maison... mais Maman l'a su quand même par une voisine dont le fils était avec nous !


A Tidaholm, une de nos distractions favorites et interdites ! était de grimper sur les troncs d'arbres stockés par milliers pour les besoins de l'Usine Allumettière. Les gardes nous faisaient la chasse... et un jour, en courant pour me sauver de leurs mains, je tombe entre les rails du train transportant toute la journée des troncs. Le train poussait les wagons lentement... j'étais là... un bras sur un rail sans me rendre compte, probablement "sonné" par la chute... un garde pousse un hurlement... je retire instinctivement le bras - les roues passent... le train s'arrête... et je me sauve le plus vite possible... sans même penser à remercier le garde !

Il y a quand même un Ange gardien pour les enfants !

REVENONS AU LYCEE DE Jönköping

Mon père avait fini par accepter le fait (accompli) de voir ses deux fils au Lycée - "mais seulement jusqu'à quinze ans, après ils chercheront du travail...". Les études avançaient, nous avons même touché deux ou trois fois une subvention de vingt cinq couronnes comme "élèves studieux et nécessiteux" et nous avons eu notre bac, tous les deux en même temps.

Malgré ma petite taille - on m'appelait "le petit Wille" jusqu'à mon bac ! - le sport m'attirait, c'est à dire le football. Je n'avais pas d'équipement... mais "un grand" avait promis de me vendre ses chaussures contre cinq couronnes. Mais où trouver cinq couronnes dans une famille qui ne pouvait même pas prendre le "tram" pour aller en ville ? Eh bien, Maman - toujours elle ! - m'a fait embaucher à douze ans pendant les vacances comme "déballeur de verres" avec un salaire horaire de 0,15 couronnes la première semaine et 0,25 la deuxième. Je crois que j'ai touché en tout trente sept couronnes et une centaine de petites coupures à tous les doigts ! Mais Maman m'a donné mes cinq couronnes transformées le jour même en une vieille paire de "godasses", quatre pointures trop grandes pour mes petits pieds. Mais un supporter de l'équipe locale a eu pitié de moi et m'a fait l'échange contre une paire un peu petite mais quand même... J'étais fier !

PARLONS SPORT

d'autant plus que les Sports ont souvent marqué ma vie. J'ai fait du foot où j'aurais pu devenir bon. J'ai fait de l'athlétisme. Et j'ai tâté presque tous les autres sports mais sans acquérir une réputation "mondiale". J'ai même été arbitre international de handball avec comme petite spécialité les "derbies". Tout cela est oublié depuis longtemps... J'ai créé des fédérations régionales de marche (!), de handball et d'orientéring. J'ai organisé des épreuves (avec "mon" journal comme premier profiteur !) en marche et en orientéring - mais j'ai surtout été pris dans les engrenages des clubs et des fédérations, une activité qui vous donne surtout des soucis, des ennemis et des crampes à l'estomac... Les meilleurs souvenirs sont attachés à mes vingt ans parmi les copains de la Société Sportive Suédoise à Paris, un petit club animé par un grand dirigeant et ami. Nous avions du mal à trouver, tous les dimanches, onze joueurs mais la camaraderie était telle que même malades, on était là pour les copains. Parfois c'était de la folie de jouer un match de foot sous la pluie et avec trente neuf de fièvre mais nous étions jeunes et bien soudés ensemble.

J'AI UNE TENDANCE AU PASSER

trop vite à ma "vie moderne". Revenons encore en arrière.

De Bankeryd, la famille a déménagé à un HLM à Jönköping (LÖDÖSE) où tous les locataires étaient en guerre entre eux d'une façon plus ou moins permanente, à peu près comme c'est le cas sans tous les HLM. Tous les samedis soirs, la distraction pour nous était d'attendre le retour de Tobias, un ivrogne périodique (tous les samedis !). Tobias était terriblement fort et nous nous racontions avec délice qu'une fois Tobias avait battu quatre agents de police qui voulaient l'arrêter pour ivresse publique. Depuis la consigne de la police était de laisser Tobias Zigzaguer jusqu'à la maison. C'est là que nous l'attendions... Les gosses sont parfois stupides et cruels. Nous savions que Tobias dans son état d'ivresse ne pouvait pas courir plus de trois-quatre mètres avant de trébucher et c'était ce que nous voulions voir... Arrivé devant son HLM, sa pauvre femme, alertée par le bruit et habituée à la scène hebdomadaire, sortait, criait "Tobias, t'es ivre-mort, rentre..." et ensuite "... sales mômes, foutez le camp, sinon...". Tobias rentrait - mais cinq minutes plus tard il jetais sa femme dehors, menaçait de nous casser tous - et ensuite il s'endormait... et nous n'avions qu'à rentrer chez nous et faire nos devoirs d'école.

Dans notre HLM, nous avions deux autres alcoolistes hebdomadaires. Un soudeur qui le samedi mettait sa vieille jaquette, vidait une demi bouteille d'aquavite et se dirigeait ensuite directement  - enfin à peu près ! - au Commissariat de Police... pour dormir. L'autre employé de bureau, veuf, vivant en solitaire toute la semaine sauf le samedi soir où il buvait seul chez lui mais avec une idée fixe de sortir vers huit heures du soir en répétant "Je vais aller me noyer... la fin du monde arrive...". Comme il était absolument inoffensif, certains voisins l'escortaient autour de la maison après quoi il rentrait sagement dormir. Sauf un soir où il pleuvait tellement que personne ne voulait l'accompagner - et le lendemain on l'a trouvé noyé dans le lac. C'était triste - mais l'alcool en Scandinavie était le fléau - et l'est toujours dans un certain milieu. Les autorités ont tout essayé pour "civiliser" ces beuveries qui sont à l'origine de milliers de drames familiaux.

A LÖDÖSE, SEUL BATIMENTS A SIX ETAGES

les ramoneurs étaient des artistes admirés par les gosses. Un jour, notre "chef" George proposait "on va en faire autant"... et lui n'avait pas de vertige et se promenait là-haut en vedette. Mon frères et moi - les enfants sont parfois des idiots et se croient "obligés" d'épater les copains - nous avons essayé, nous aussi. Mais j'ai encore à mon âge, soixante quinze ans, des angoisses et des cauchemars rien qu'a penser à ma position là-haut, assis à cheval, tremblant, ne sachant pas comment revenir. Heureusement George m'a tiré de cette lamentable aventure...

Avec l'âge - à dix ans - nous sortions en forêt. En hiver pour des grottes de glace, en été pour cueillir des myrtilles mais surtout du bois de chauffage pour notre maison. Le bois était cher - et Maman était contente de voir notre volonté de nous rendre utiles... J'ai appris à aimer la Nature, à me promener en forêt. Je crois que la nature scandinave est ce qu'il y a de plus beau au monde.

NOUS CHANGEONS ENCORE DE SUJET

pour reparler d'études. Mon bac ne m'a pas posé de problèmes, malgré mon âge - je n'avais pas encore dix sept ans ce qui était, à l'époque, très jeune. Je dirais même TROP jeune puisque l'école doit contribuer à nous préparer pour la vie. Je sortais du Lycée très "innocent" - et c'est la vie qui m'a malaxé par la suite.

Le Bac était en 1925 une cérémonie assez importante. On chantait "Vive la Liberté", on pouvait aller aux restaurants, boire, fumer - et même "flirter". Avec la casquette blanche sur la tête, on avait la tête pleine d'espoirs... Pour mon cas, j'ai eu la surprise de trouver, en sortant de la salle du Bac, toute mon équipe de joueurs de foot, de jeunes ouvriers de la papeterie Munksjö, qui avaient demandé l'après midi pour aller "transporter par chariots" deux de leur camarades, les premiers "bacheliers" dans ce milieu ouvrier si contesté et pourtant toujours prêt aux élans de sympathie...

Il m'est arrivé cinquante ans après mon Bac de rencontrer lors d'une visite rapide à Jönköping, des anciens copains de notre équipe Junior, et j'ai éprouvé une grande joie d'entendre "... mais c'est bien toi Wille..." et après on a bavardé sur le passé et "notre" club Jönköpings Sôdra Idrottsförening que nous avions formé ensemble, sans argent, sans expérience administrative, avec comme premier Président "Kalle Sko", un facteur intérimaire.

Lors de notre premier "déplacement sportif" à Vaggeryd, le boulanger du coin nous a prêté gratuitement sa camionnette. Après le match - perdu six-zéro ! - on va prendre un café tout près du stade... mais nous étions deux à ne rien commander - un jeune chômeur et moi, l'étudiant. Alors un ouvrier nous appelle "ceux qui ont du travail vont offrir à vous deux du café et du smörgas..." un geste vraiment "sport", spontané. Pourtant, ces jeunes ouvriers ne gagnaient pas beaucoup... mais leur esprit de solidarité n'a pas admis que deux copains "restent sur la touche".

A l'époque, il y avait pourtant à Jönköping une sorte de "guerre" entre "jeunes collégiens" et "jeunes ouvriers". Notre quartier "Söder" était plutôt mal réputé pour les agressions contre des étudiants. Une seule fois, mon frère et moi avons été "menacés" par une bande venant d'un autre quartier, Öster, mais dans la bande il y en a un qui m'a reconnu en disant "... eh les gars, le petit joue avec Södra..." et nous n'avons pas été inquiétés. Il faut dire que de mon temps, tous les élèves au Lycée devaient obligatoirement porter la casquette traditionnelle. Il était donc facile de repérer un "pésé" (lycéen) par les ennemis, les "bynkés". La différence de classe - qui n'existe plus.

Après le Bac début juillet 1925, il fallait chercher du travail... mais le monde était en crise. Les banques qui embauchent toujours pendant les vacances avaient déjà fait le plein par des "relations" - c'était un métier "noble" de travailler dans un banque ! - et comme personne ne voulait de mes services, Maman m'a persuadé de m'inscrire dans une petite Ecole de commerce locale où je n'ai strictement rien appris - sauf d'additionner des colonnes de "Doit" et "Avoir". Mon frère était parti au Service militaire - et avec trois soeurs, j'ai commencé à fréquenter les copines de mes soeurs - et à fumer la pipe ! Un jour, ma mère me pousse d'aller voir un homme "avec relations" - et début février 1926, j'ai pris un billet Jönköping - Malmö - Köpenhamn - Hambourg - Cologne - Paris, troisième classe assis. C'était long, quarante deux heures, je crois. On m'avait recommandé d'écrire à une Pension  Vesque, 25 rue Babylone à Paris, et arrivé à la gare du Nord, j'ai attendu pendant deux heures devant la gare, croyant naïvement que quelqu'un de la Pension allait me prendre...

Mais je n'étais plus à Jönköping... Finalement, je me décide, prend un taxi - pour la première fois de ma vie ! - et me fait copieusement eng... par ce que je n'ai pas donné de pourboires. Pension triste et beaucoup trop chère pour moi. A l'église suédoise, on me trouve une chambre - et je me présente, tout tremblant, rue Bassano à la Chambre de Commerce Suédoise, très "snob" en 1926. Heureusement qu'ils avaient l'habitude de stagiaires ne sachant rien faire... D'ailleurs, ils ont du bien rigoler en douce de voir débarquer un jeune provincial d'origine modeste, habillé correctement... à mon avis... enfin, j'ai eu de la chance qu'après quelques jours, l'huissier russe a eu pitié de moi et m'a discrètement glissé à l'oreille que quelques modifications vestimentaires ne seraient peut-être pas...

La solitude à Paris était terrible, et si j'avais eu de l'argent, j'aurais pris le train de retour à Jönköping. Un jour une fille (institutrice à l'église suédoise) me dit que la Banque de Suède et de Paris avait besoin d'un débutant - et j'ai accepté... parce qu'il n'y avait pas d'autres candidats (C'était en 1926, en pleine inflation et mon travail était au "CHANGE", autrement dit par exemple dix couronnes donnaient trente huit francs soixante quinze. Du matin au soir. Certains clients venaient deux à trois fois par jours pour cinq couronnes... Je gagnais cinq cents francs par mois (et il fallait absolument vivre avec cela !) ce qui voulait dire un repas par jour et une séance du cinéma du quartier (à deux francs) le samedi. Dur dur dur - mais une bonne école. Après six mois au guichet, j'entends un client dire à mon chef "...tu ne connais personne qui pourrait prendre mon job de traducteur - correspondancier car je veux à tout prix rentrer en Suède mais on m'a demandé de trouver d'abord un remplaçant...".

J'ai sauté sur l'occasion. Le lendemain, le "partant" me présente au directeur du personnel de la maison DORMEUIL FRERES, tissus en gros et ensuite au directeur Exportation. On m'a fait faire une traduction suédois/français, une autre français/allemand, une autre hollandais/français (toutes les trois vraiment mauvaises !) mais ce qui m'a sauvé était une traduction français/suédois qui d'après le "partant" était "impeccable". Bien sûr, il était pressé de partir...

Ensuite le salaire ! le "partant" m'avait dit "...te laisse pas faire car le salaire du début est déterminant pour la suite...". J'ai demandé mille francs, le directeur du personnel m'a fait un long discours sur ma jeunesse, sur l'importance morale pour toute ma vie d'appartenir à une Société DE TOUT PREMIER ORDRE NOMMEE DORMEUIL FRERES, sur le niveau des salaires des autres et qu'il avait un fils "diplômé" qui était tout heureux à vingt trois ans de gagner cinq cent cinquante francs par mois et que j'étais très fort en suédois mais très très faible en Français...

La vie m'avait déjà appris qu'il fallait écouter parler les "grands", et finalement, le directeur sort son mouchoir, m'offre sept cent vingt cinq francs en tremblant en affirmant qu'il avait en réalité dépassé le niveau qui était de son autorité... J'ai remercié et j'ai dit "Mille francs, Monsieur le Directeur". Le directeur me regarde avec étonnement et "presque en considération", dit "Jeune homme, vous êtes trop jeune pour bien comprendre que c'est DORMEUIL FRERES qui pourrait me faire l'honneur de m'inscrire... et il s'en va. Quelques minutes plus tard, il revient et me dit tout bas, tout bas : "...  la HAUTE DIRECTION m'a autorisé et c'est bien la première fois dans ma longue carrière de directeur du personnel que ceci arrive, eh bien, Monsieur Stalbrand, vous aurez neuf cents francs, aucune augmentation ne sera ni demandée encore moins accordée pendant dix huit mois..." J'accepte les neuf cents francs.

Et à la Banque on m'a laché avec un petit préavis de deux jours - j'ai appris plus tard qu'une jeune fille de Stockholm avait fait une demande !

DORMEUIL FRERES existe toujours rue Vivienne, près de la Bourse.

Nous étions deux traducteurs - correspondanciers, après quatre mois trois, un Suisse, un Hollandais et moi. Le pauvre Suisse était payé cinq cents francs, le Hollandais sept cent cinquante mais il était aussi journaliste débutant et gagnait cinquante francs par ci par là. Après quelques mois, j'obtiens de mon chef mille francs "tout rond", quelques mois plus tard lorsque le Hollandais avait donné son préavis "j'arrache" à Monsieur BRUN (le chef du personnel) mille deux cents francs après le même cinéma qu'à l'embauche complété par "aucun chef de service ne gagne cette somme énorme ici - et je ne veux plus jamais parler salaire avec vous..." Bon. Le directeur EXPORT était un sportif, membre du bureau du Racing Club de France et un jour en m'apportant "mon" courrier, je me lève en disant "Monsieur Meyer, je suis très heureux de la belle victoire du Racing..." Il tourne la tête, me regarde sans rien dire pendant dix secondes... "Stalbrand, la lettre à Copenhague est urgente". Je la lui fait en vitesse et la lui apporte à un moment où il est seul dans sa cage vitrée.

"Merci Stalbrand... je ne savais pas que le sport vous intéresse et je vous dis tout de suite que chez DORMEUIL nous parlons tissus et travail..." Je glisse "bien sûr, Monsieur Meyer, mais j'ai deux compatriotes qui jouent au Racing et ils m'ont parlé de vous..."

Une semaine plus tard, il m'appelle dans son bureau, demande dans quel club je joue et qu'il pourrait me patronner pour un essai dans une équipe Junior D au Racing. Mais comme je n'avais pas d'argent et comme le droit d'entré au "Club des Millionnaires" était énorme, il n'a pas insisté. Mais de temps en temps, il prenait deux minutes pour me parlé d'un grand Suédois, Yves GYLDEN, un pilier au Racing, un gentleman dans tous les domaines.

J'ai pu avoir un salaire de mille cinq cents francs grâce à Monsieur Meyer... Un grand bonhomme, dur au travail mais le sport m'a aidé à ce qu'il me considère comme un homme (jeune) et non pas uniquement comme une machine à traduire. Mille cinq cents francs était un très bon salaire - mais j'ai constaté assez vite que plus on gagne, plus on dépense...

UN JOUR SKF A BESOIN D'UN SUEDOIS

comme secrétaire au Directeur des Usines d'Ivry-Port. J'étais un bon joueur dans notre équipe suédoise de football, et il arrivait souvent que l'équipe des Vétérans ne pouvaient aligner que sept ou huit joueurs. Alors, on faisait appel aux joueurs de "La Première" - il n'y avait pas de "Deuxième" - et parmi les Vétérans, il y avait quelques "huiles", dont un directeur d'une autre usine SKF. C'est lui qui m'a dit "... si ça vous intéresse, je pourrais vous recommander pour un bon job chez SKF à Ivry..." (Un Directeur SKF ne tutoyait pas un "petit à cette époque !).

J'ai eu la place qui n'était pas difficile parce qu'il y avait déjà un secrétariat de trois dames, et pour m'utiliser, mon chef envisageait de me diriger vers la place de chef des achats. En attendant, j'étais chargé de vendre un grand nombre de machines-outils, un travail intéressant où j'ai obtenu de bons résultats (pour SKF).

Un jour, mon directeur m'annonce : "Demain matin, vous allez vous présenter à la Direction Générale à Paris pour écrire quelques lettres car la secrétaire privée de notre PDG est malade...".

C'était vraiment une tuile ! Je tapais assez bien à la machine - mais comme "sténo" j'étais a peu près NUL. Bon - je me suis dit "... il ne peut que t'engueuler... Le PDG était Monsieur Yvan BRATT, le créateur des restrictions d'alcool en Suède, un des très grands "cerveaux" suédois. Froid, impersonnel. L'expérience fut un désastre... Monsieur Bratt dicte pendant peut-être deux minutes, s'arrête, regarde en l'air et dit "... nous allons reprendre les deux dernières phrases..." Je bafouille, mon "sténo" n'était pas lisible - et rouge comme un coquelicot, je dis "...je m'excuse mais j'avais bien pris un cours de sténo mais je n'ai jamais eu l'occasion de m'entraîner... Alors je ne peux pas lire ce que j'ai essayé de prendre en sténo !" Un sale moment... Monsieur Bratt sort mon dossier "Personnel", dit... "pourtant vous avez écrit que vous êtes sténo... ce n'est pas bien... mais puisque vous avez probablement dit presque toute la vérité... je dis presque... je vais dicter lentement et vous allez faire de votre mieux en écrivant normalement...".

C'était un rapport important à la Maison Mère SKF Göteborg, un très long rapport... le texte tournait dans ma tête, et je ne comprenais rien (ce qui n'était pas nécessaire non plus !). Après une heure pénible, Monsieur Bratt, me montre la machine à écrire de sa secrétaire et dit "une seule copie s'il vous plaît..." et s'occupe d'autre chose comme si je n'existait plus... Téléphone, visites, etc. Et la belle machine à écrire était - évidemment - d'un modèle perfectionné que je n'avais jamais vu avant...

Je crois que la haute Direction SKF n'a jamais reçu une lettre si mal tapée, si mal disposée, si pleine d'erreurs...

Monsieur Bratt l'a lue, très mécontent mais trop maître de lui-même pour vouloir s'abaisser à eng... un petit scribouillard. "Evidemment, ce document ne devrait pas partir mais c'est une nécessité... et une urgence..." Il a pris son stylo en or, je suis sur qu'il a mis un PS comme quoi sa secrétaire Mademoiselle Marck était malade... et il a mis la lettre sous enveloppe lui-même...

Il n'a jamais fait appel à mes services par la suite.

Le lendemain, à l'usine d'Ivry, je mentionne à mon chef ce qui s'est passé, et j'ai cru avoir compris "...bien fait pour celui-là". En effet, les deux hommes ne s'aimaient pas du tout - et quelques temps après, mon chef a été nommé à un poste spécialement créé pour lui... une véritable voie de garage, un étouffement total. Je commençais à me rendre compte de la cruauté "en haut lieu" et que dans le monde industriel, les peaux de banane sont parfois fabriquées sans que les victimes s'en doutent... Et encore en 1983, ceci est inchangé...

UNE PENSEE ME TRACASSAIT

Naïvement, je commençais à croire que j'avais déjà un "bagage" pour trouver facilement un bon emploi bien payé en Suède. Je quitte SKF où la "mission" de mon ancien chef m'avait laissé dans le vide.

Une désillusion énorme ! Je n'avais pas encore appris qu'il ne faut JAMAIS démissionner d'un job avant d'être sûr d'avoir un meilleur assuré sans faille ! En Suède - RIEN RIEN RIEN. D'abord lecture d'annonces dans la grande presse, en tout optimisme. Réponses, réponses... mais pas de suite. Si - comme vendeur de produits de beauté.

Que faire en attendant le service militaire ? J'ai fait deux ou trois bons match de football - mais c'est difficile dans une petite ville de province de prendre la place d'un autre dans une bonne équipe soudée. J'avais peut-être une trop haute opinion de moi-même pour Jönköping où la discrétion est de rigueur et la jalousie la qualité humaine dominante.

J'ai fait quelques comptes-rendus dans un journal local où le rédacteur en chef était un ami de Lycée. D'abord cinq centimes la ligne, ensuite six. J'ai décroché la collaboration de plusieurs grands journaux à huit centimes la ligne. Je fabriquais des chroniques sur le sport sur le style classique. Mais c'était toujours "embarrassant" de rencontrer dans "ma" ville des copains du Lycée en bonne voie pour des situations dans les Administrations. "Et toi - toi qui a été à Paris des années, qu'est ce que tu fais ?".

Le service militaire à Eksjö ? Comme toujours, ce service vous laisse un bouquet énorme de bons souvenirs... après quelques années quand les mauvais souvenirs sont effacés. A vrai dire, je n'aimais pas du tout le système militaire. En 1928, l'angle des pieds était beaucoup plus important que le tir ou la marche individuelle en terrain difficile. Aux interrogatoires le fait d'utiliser ses propres termes était une faute capitale pour le pauvre adjudant qui connaissait le livre militaire par coeur - mais rien d'autre. Le fait de parler français m'a gratifié de "l'honneur" de balayer notre couloir le premier. Aux yeux des sous-officiers, j'étais un soldat médiocre. Heureusement qu'en Suède le tout a changé depuis.

APRES LE SERVICE DE SEPT MOIS

la course après un bon travail recommençait mais plus âprement car je commençait à me rendre compte que je n'était pas du tout le seul à avoir un "bagage". Le Bac seul ? zéro. Le séjour en France ? Sans intérêt. Une période difficile...

Un soir, en jouant au bridge avec trois copains, l'un d'eux me dit brusquement : "... mais c'est vrai - tu as été en France, tu as même travaillé chez SKF, pourquoi ne pas demander demain à FLÄKTFABRIKEN si tu ne fais pas l'affaire ? Ils cherchent quelqu'un pour accompagner le directeur de l'usine en France où ils veulent s'implanter..."
Le lendemain, c'était le premier avril 1935. Le directeur de l'usine, Sigurd Pettersson, était très complexé, muni d'un bon sens mais toujours sur la défensive, toujours imbu d'un rôle pour lequel il n'était pas armé, avare. A ma surprise, après deux heures d'entretien - composé surtout de silences de la part de Sigurd Pettersson - il fait le tour du bureau, regarde par la fenêtre pendant cinq bonnes minutes, se retourne et dit : "... nous pouvons donc commencer tout de suite". Il ne disait pas "vous, encore moins "tu". Mais "nous". Salaire trois cents couronnes, une exploitation de ma situation comme "chômeur intellectuel".

On m'a mis devant un petit bureau, on m'a donné un dessin d'un ventilateur, on m'a dit de calculer ce qu'il fallait comme matière première pour sa fabrication. Heureusement que je suis tombé sur un bon camarade de travail qui a vite compris. "Viens, on va te montrer les toilettes..." et seul avec moi, il m'a dit : "T'en fait pas - j'ai fait cela pendant trois ans et tu peux trouver exactement les mêmes documents dans mon dossier... et tu copies ce qu'il te faut..." J'ai fait semblant d'avoir oeuvré pendant une journée pour une étude déjà existante ! C'était Allan... Rien n'est difficile pour l'ingénieur... sauf la première fois seul !

Quelques semaines après l'embauche, Monsieur Pettersson me fait venir dans son bureau pour me dire, "Nous... nous... nous allons partir à Paris pour une mission avec moi...". J'étais très content et demande "Quand ?". Il me répond "... Le meilleur train est à dix heures cinquante deux et j'ai nos billets ici..." Rien n'était préparé et j'ai couru jusqu'à la maison pour dire "Maman, je pars à Paris dans une demi-heure et il me faut toutes mes affaires..."

C'était bien Sigurd Pettersson. Le temps de l'Entreprise coûtait trop cher pour le consacrer à faire une valise.

Train jusqu'à Copenhague, ensuite avion à Paris. ASEA avait réservé des chambres d'hôtel - mais Sigurd Pettersson a immédiatement à Paris fait annuler les chambres - "c'est beaucoup trop cher !" - et ensuite il m'incombait de trouver deux petites chambres sans "confort". La réplique de Sigurd Pettersson était mémorable "... nous ne sommes pas venus à Paris pour dormir...". En effet, il m'a demandé de louer "le moins cher possible" une machine à écrire "pour taper dès maintenant les rapports" - mais j'ai invoqué que "les machines françaises n'ont pas les mêmes lettres que les suédoises (ä-ö). Comme "retour à Paris" c'était plutôt morne...

Nous sommes retournés à Jönköping par Bruxelles "puisque c'est le même prix et nous verrons alors l'Exposition Universelle de Bruxelles". ASEA nous avait réservé deux chambres à l'hôtel Métropole - même comédie, Sigurd Pettersson m'a demandé de chercher "deux ou une chambres moins chères". Je n'ai gardé aucun souvenir de cette belle Expo du fait que Sigurd Pettersson a évité tout ce qui était payant en invoquant que "nous n'avons pas beaucoup de devises...". Un seul souvenir - Sigurd Pettersson a voulu tenter sa force sur un appareil à lancer un mini-canon sur des rails. Il a échoué... et bêtement, j'ai demandé à faire un essai. Réussi ! C'est une gaffe, une faute psychologique à ne pas commettre - se montrer supérieur à son chef ! Même dans un jeu...




FLÄKTEN SE DECIDAIT POUR L'ACHAT

des usines PINGUELY à Aubergenville en 1935. Un camarade Widemar et moi-même devaient assurer le démarrage, Widemar comme ingénieur, moi pour les papiers. Une période bizarre où il fallait embaucher un à un une équipe d'ouvriers. Le premier était menuisier - concierge, le deuxième forgeron. Ces deux hommes, Marlin et Georges Nicoll, sont restés VIM jusqu'à leur mort. Georges était aussi le secrétaire de la cellule communiste d'Aubergenville, un homme droit, loyal et pourtant ferme dans ses idées "rouges". Je crois qu'il y avait vraiment une amitié entre nous deux, le communiste et le patron, et il m'a parfois évité de prendre des décisions injustes. "Il tapait comme une brute sur les tôles", et après vingt années il a failli succombé à une crise cardiaque grave. Après trois mois de repos, il voulait reprendre le travail - "il faut bien que ma femme et moi bouffent !" mais j'ai réussi à le persuader de devenir magasinier. Il a rouspété pendant plusieurs mois "c'est pas du travail pour un homme..." mais peu à peu, il a trouvé qu'un magasin bien tenu était très utile.

Le premier ventilateur a été photographié sous tous les angles, et nous l'avons laissé dans la cour pendant vingt quatre heures pour que tout le personnel (sept ouvriers !) puissent l'admirer... Mais il y avait une forte animosité entre l'ancienne direction générale VIM et les deux suédois venus démarrer une usine abandonnée. après trois mois, Paris nous a demandé de calculer le prix d'un tunnel relativement simple ce qui fait que Paris a enlevé la commande. En réalité, la forme du tunnel était finalement arrondie ce qui a nécessité plus de deux cent heures de travail à la masse... Le siège VIM a refusé de participer aux pertes en invoquant que "l'Usine ne dépend que de la Suède"...


FLÄKTEN A FINI PAR PAYER LA CASSE

mais un an plus tard, on m'a délégué en Angleterre comme promotion. C'était en 1937, l'année du Mariage. Une belle année. Nous étions jeunes? Nous n'étions pas riches, nous n'avions pas de voiture - même pas une petite AUSTIN comme on disait en Angleterre - mais nous avions une petite maison dans Hatherley Road à Ealing, une rue avec cent maisons rigoureusement identiques de chaque coté. Au début, on se trompait de maison, mais tout le monde était gentil et nous guidait en souriant "... ça arrive à tout le monde ici...". L'usine était à environ deux kilomètres cinq. Un jour, le brouillard était tellement épais que j'ai bien mis deux heures pour rentrer. Toute circulation autos était arrêtée, l'éclairage était allumé partout mais on ne le voyait qu'à un mètre du poteau de réverbère. C'était épouvantable. On avait du mal à respirer. Le lendemain, dans les journaux, on lisait que beaucoup de personnes étaient mortes en crises d'asthme. Sans parler des accidents de toutes sortes.

On a vite fait connaissance de nos voisins qui disaient "la petite française". Le mari m'a embauché à jouer dans l'équipe locale de foot - une toute petite équipe - et j'ai vite compris comme arrière central qu'il fallait être "tough", ne pas mettre de gants pour s'imposer. Que de bagarres ! Mais une fois le match fini, tous étaient copains pour boire une tasse de thé ou une bière. Vraiment de bons souvenirs !

L'usine travaillait le samedi à midi - ensuite nous prenions le "Underground" pour aller en ville, une ou deux fois pour voir ARSENAL jouer à Highbary, souvent pour du shopping. Le samedi soir - du cinéma. Le dimanche, le jour où tout était fermé, nous avons fait des excursions par train. Une belle vie sans soucis. Si - comme toutes les maisons anglaises, le chauffage était essentiellement "a nice coal fire" qui chauffait sur un rayon de deux mètres...

EN 1938 L'USINE N'AVAIT PLUS BESOIN

de moi, surtout depuis que le Directeur anglais Ward avait découvert que je "n'était même pas ingénieur". Il faut dire que je n'avais aucune formation pour la fabrication, et je crois que c'était une grave erreur de la direction en Suède de m'envoyer en Angleterre sans formation ni instructions sur ce que je devais faire ou ne pas faire !

Le retour à l'usine Fläkten à Jönköping n'était pas facile. TOUS formaient un mur pour empêcher "l'étranger" d'avoir une bonne place ! Avec cela; la Guerre Mondiale numéro deux éclate en 1939. Mobilisation ! Chaque industrie avait le droit, au début, de conserver "le personnel indispensable"... ce qui fait que je partais parmi les premiers pour "mon" régiment à Eksjö "pour deux semaines de rodage". Après deux semaines, nous avions tout juste reçu la moitié de notre équipement, y compris le chapeau à trois cornes tel que l'on s'en servait deux cent ans plus tôt ! C'était un désordre total... Pauvre armée suédoise de 1939 ! En une semaine, les russes auraient pris le pays... comme les nazis ont pris la Norvège avec une poignée de soldats... ou comme les allemands ont pris le Danemark en vingt quatre heures ou quarante huit suivant les versions...

Je n'ai jamais eu une haute opinion des militaires de métier. Toute l'organisation est basée sur le principe que seul le CHEF sait, seul le CHEF décide - et ceci traverse tout le corps militaire. Il n'y a qu'à voir un lieutenant en face d'un capitaine, ce même capitaine en face d'un colonel, ce même colonel en face d'un général... Tous des "garçons de course"... Même en 1983 où pourtant dans l'industrie un jeune ingénieur spécialisé peut et doit donner son opinion soit-elle contraire à celle de son "supérieur". L'argument le plus "intellectuel" dans l'armée reste "C'est un ORDRE". Et l'humanité dépense des milliards pour les armées ! Tout le monde sait dans quel état se trouvait l'organisation militaire en France en 1939... malgré au moins douze mois d'avertissements que Hitler préparait quelque chose...

J'AI PASSE NOEL 1939

à la maison où nous attendions notre premier enfant pour février - mars 1940. Mais début janvier, convocation par télégramme de me présenter "d'extrême urgence" à Eksjö. L'Europe était en guerre, le front finlandais ne pouvait plus tenir longtemps - et nous... nous avons passé trois semaines à dormir le jour et jouer aux cartes la nuit dans notre triste caserne.

Nisse est né le 28 février 1940 - et mon capitaine alcoolique m'a d'abord refusé la permission de rentrer pour admirer MON FILS ! Qui n'était pas très beau car il s'était griffé toute la figure...

Le sport m'a aidé une fois de plus. L'officier des sports était très très peu intéressé des sports et il m'a confié le tout... sauf les quelques cérémonies. C'était passionnant et je crois que "mes gars" ont obtenu des résultats surprenants. En foot par exemple, j'avais une équipe de joueurs totalement inconnus - et nous avons fait deux - deux contre Norrköping, une équipe "internationale". Décidément, football est un jeu de hasard.

Bien entendu, "mon" régiment a été envoyé dans le Sud de la Suède "à titre de défense préventive en cas d'attaque de surprise...". Le régiment avant nous avait démoli tout ce qu'il avait construit... et nous avons donc commencé par reconstruire tout !!! Ceci est bien militaire. L'argent ne compte pas, le bon sens encore moins. Mon groupe avait pour mission de reconstruire des abris contre l'artillerie lourde. Le colonel, à cheval, est venu pour inaugurer... et toujours à cheval, il grimpe sur la petite colline qui marquait le dessus de l'abri. Crash... les quatre pattes du cheval ont percé notre abri "anti-bombes", le colonel est tombé par terre - et l'inspection a été arrêtée. Mais le scandale n'a pas eu de suite pénales. Le capitaine a été engueulé - mais comme il était déjà sur le liste des "officiers en fin de carrière", il s'est "consolé" avec une bouteille d'alcool... comme d'habitude. Le cheval était intact - c'était l'essentiel pour nous !

RETOUR A FLÄKTEN SEPTEMBRE 1940

où j'étais si possible encore plus inutile qu'auparavant. J'ai cherché du travail partout en répondant aux annonces, et j'ai appris aussi le danger de répondre aux annonces anonymes.. Un jour, Monsieur Pettersson me fait demander. Il m'explique, avec maints détours, qu'il avait su que je cherchais un autre travail ailleurs, en développant le tout dans des phrases qu'avec mes qualifications de l'étranger, lui ne pouvait m'assurer un travail "suivant mes qualifications...". Et à ma surprise, l'entretien s'est arrêté là !

J'étais devenu le responsable des sports à l'usine. Un week-end, nous avons fait le déplacement à Stockholm pour une rencontre de natation, et j'ai rencontré quelques ingénieurs du Siège Social. Un mois plus tard, Pettersson me demande : "Notre Service Etranger à Stockholm a besoin de quelqu'un avec de bonnes connaissances en français et en anglais - alors tu peux y aller pour quelques semaines si tu as toujours envie de me quitter...".

Quelle joie ! A Stockholm, j'ai trouvé une ambiance amicale, une camaraderie, un travail agréable et utile - et un chef, Stig Olsson, comme on n'en trouve pas beaucoup. Mon "copain d'en face" - c'était Olle Johansson. Fait sur mesure et pas jaloux pour deux sous. Toujours prêt à aider. Ca c'était un copain !

Nous avons trouvé un petit logement à Stocksund, et je crois que j'ai passé les meilleures années de ma vie de travail à Fläkten Stockholm. Mon travail m'intéressait, j'ai fait des études le soir et je suis devenu "INGENIEUR", ce qui avait été un rêve pour moi depuis des années.

La guerre tirait vers sa fin. Colette était souvent inquiète pour son père, Elisabethville étant "occupé" par les allemands. Bien entendu, le courrier ne marchait pas...

Un jour, le Big Boss d'ASEA Paris, Edgar Carlsson, est venu à Stockholm, à titre de "courrier diplomatique", et il nous a donné de bonnes nouvelles de la famille Reinhold en dînant avec nous un soir. Il était "en froid" avec son ingénieur des usines Persan, et il dit "en passant" qu'il aurait peut-être besoin de moi... C'était un homme énergique - quelques semaines après, Stig Olsson me dit que si j'étais d'accord (Stig était un gentleman !), je recevrais un entraînement concentré pour prendre en charge non seulement l'usine VIM mais aussi les usines ASEA à Persan-Beaumont. C'était vraiment une belle promotion ! OK - plusieurs mois d'hiver à Västeras... où je ne savais rien... et ce que j'ai appris était vraiment superficiel ! La guerre a pris fin en mai 1945, un mois plus tard, je débarque à Paris, tout heureux de me rendre chez Monsieur Carlsson qui m'explique assez rudement qu'il ne m'attendait pas si tôt... et que je pouvais toujours me rendre à Aubergenville où il avait "nommé" un chef, n'ayant par reçu de réponse de Fläkten...

De nouveau un mur de glace... Heureusement, à l'usine, les "anciens" ne m'avaient pas oublié et m'ont soutenu. En effet, le "chef" défendait sa position inespérée par tous les moyens ce qui était plutôt normal, mais après trois mois de tension locales, je mets les pieds dans le plat et demande à Edgard Carlsson "C'est moi - ou c'est lui ? Si c'est l'autre, je demande à rentrer en Suède où j'ai un travail sympathique...". Premier résultat est que ma position devient plus solide. Les grèves nationales de 1947 m'ont servi car tous les ouvriers ont eu un comportement irréprochable pendant l'occupation de l'usine - grace surtout à Georges Nicole ! - et nous étions les premiers à nous mettre en route.

AU SOMMET ON SENT LA TEMPETE

mais je considère aussi que si l'on est bien payé - c'était mon cas à la VIM - il faut souffrir un peu plus que ceux qui sont moins exposés.

A la maison, Lisbeth et Patrick ont agrandi la famille à notre grande satisfaction.

Le reste... vous le savez plus ou moins. Et le but de ce "rapport" était double - donner satisfaction à Nisse et peut-être intéresser mes petits-enfants d'une façade de vie de FARFAR (MORFAR).

Mais, une fois de plus, je dois revenir en arrière pour parler d'autre chose que de moi-même !

Ma mère était une femme extraordinaire ! elle s'est occupée de l'avenir des cinq enfants, elle a fait des démarches, elle a saisi une occasion rare d'acheter une villa Brahegatan 63 à Jönköping pratiquement sans avoir de quoi payer le notaire, elle s'est débrouillée pour avoir des hypothèques bancaires pour la maison, elle a pris la décision d'installer des WC et salles de bains (pendant quelques années, il fallait sortir et traverser la cour !) une vie de travail, sans beaucoup de joies pour elle. Les enfants n'apprécient guère les parents que quand c'est trop tard... pour les parents... Que puis-je ajouter à cela ? Rien sauf que nos trois enfants ne nous ont pas donné beaucoup de gros soucis...

Encore - retour. Mon père avait donc repris la mer, malgré la guerre. Peut-être parce que c'était bien payé - peut-être et assurément parce que dans son esprit, à un moment ou tous les marins se "dérobaient" pour ne pas "sortir', pour lui c'était un devoir. Il ne s'est jamais plaint. Une seule fois, il a permis à mon frère et moi de "monter" avec lui de Malmö è Ramvik en Norrland. Une cabine était libre. C'était en été et nous étions libre d'école. Le premier jour - c'était merveilleux. Le deuxième jour, malgré une mer calme, nous étions "malade". Le troisième jour pareil. Enfin, arrivés dans le "petit Nord", à Härnösand, la rivière était formidable, calme, belle.

A Ramvik, ancrage à cent mètres du rivage pour chargement par péniches. Mon frère et moi nous amusons à courir sur les bords des péniches... et PLOUF... le petit Wille fait un faux pas et descend dans l'eau. Mon frère ne s'aperçoit de rien. Mais le Premier Officier était sorti en barque pour pécher, et à cent mètres de la péniche, comme par hasard, il a tout vu. Il se jette sur les rames... et il parait qu'il est arrivé à me sortir de l'eau par les cheveux lorsque je descendais dans les profondeurs pour la troisième fois... Je me suis "réveillé" dans une cabine sans bien me rendre compte de ce qui s'était passé, mais on m'a tout raconté... et j'ai promis d'apprendre à nager immédiatement !

Au retour, le bateau se met à quai à Kramfors, juste pour une heure. Mon père a une course urgente chez un ship-chandler et ils nous amène. Mon frère me dit "je vais faire pipi..." et s'en va. Et nous attendons, mon père - furieux - et moi - tout penaud. Nous parcourons quelques rues - pas de Verner. Finalement, nous l'apercevons... se dirigeant dans la mauvaise direction... et nous faisons un sprint pour arriver à notre bateau.

Mon frère était un "rêveur", sans aucun sens d'orientation, peu manuel mais un "littéraire" doué pour une carrière académique... mais les finances de la famille ne permettaient pas des études au-delà du Bac ! Il est devenu un "faible", obligé de travailler dans des branches loin de ses aptitudes, enfermé dans une vie grise, heureux de son  chien et avec ses livres... et ses pipes.

Mes trois soeurs ? Ethel, la plus douée et la plus courageuse des trois a travaillé comme "savonneuse", comme vendeuse et comme aide-dentiste. Elle aurait pu devenir un chirurgien dentiste... mais... pas d'argent pour les études. Mariée une première fois avec Sven Fogelberg, deux enfants Leif et Anita. Sven est décédé assez tôt et Ethel s'est remarié avec Rolf, souffrant d'une santé médiocre à l'age de la retraite. Ethel est et a toujours été très courageuse - et pourtant, la vie ne lui a pas toujours souri.

Mes deux autres soeurs, Milly et Irène, ont trouvé des époux relativement riches. Irène a eu deux filles. A vrai dire, j'ai totalement perdu tout contact avec elles après la port de mon père.

Maman est morte d'une pneumonie, mon père dix ans plus tard.

Ma jeunesse sans argent, dans une famille pauvre où le manque de moyens financiers ont empêché tous les enfants de s'orienter vers des carrières suivant aptitudes - en 1920 / 1930 il n'était pas question pour des familles pauvres d'obtenir des "bourses" ou des aides d'études - tout cela a fait que j'ai toujours voulu grimper sur l'échelle sociale pour pouvoir offrir à ma famille une vie sans trop de soucis d'argent. Si j'ai atteint ce but à peu de chose près, j'ai, par contre, échoué comme "père de famille". J'ai toujours pensé "BOULOT" là où j'aurais probablement du penser "rester avec la famille". Une "angoisse de rechuter parmi les pauvres", une autodéfense contre des intrigues plus ou moins vraies, une tendance à vouloir "économiser pour nos vieux jours".

J'ai constaté qu'en dehors du sport, il n'existe pas de camaraderie sans arrière pensée.

J'ai aussi constaté que mieux tu es payé, mieux tu es considéré - si tu évites les peaux de bananes.

Un chef de veut que rarement accepter une idée qu'un subordonné - mais il ne se gêne pas du tout pour sortir la même idée quelques mois plus tard comme étant la sienne. Et tu dois approuver... et jamais montrer d'où vient "cette brillante idée"... sauf de ton CHEF.

ANDERS NILSSON STALBRAND

Né à Nosaby (Skane) le 1er mars 1879
Mort à Jönköping le 19 juillet 1964

Elève surdoué dans la petite école communale mais sans ressources économiques. Son père était un tout petit fermier avec sept enfants.

Apprenti-forgeron à l'âge de 12 ans, ensuite embauché sur un petit cargo. Il arrive à passer une année dans une école de navigation, travaille à gauche et à droite, fait des économies pour passer dans l'école supérieure pour devenir "ingénieur de la marine", entre au service de la Compagnie Transmarin où il reste fidèle à l'exception de quelques années à Tidahom (Société des Allumettes) et Jönköping (Mekaniska Verkstaden).

Marié en 1905 à Emma Bengtsson, née le 16 octobre 1885, décédée le 28 aout 1949.
Cinq enfants :         Verner né en 1906, William en 1908, Ethel en 1910, Milly en 1912, Irène en 1913.
                              Verner décédé en 1980.

Grande médaille d'or pour service rendu.

Mon père a eu une vie de travail dure, très dure et le DEVOIR du travail était sacré pour lui. Très dur pour lui-même en premier lieu, mais aussi pour ses compagnons de travail. Son grand chagrin était certainement qu'il n'avait jamais pu ou su gagner l'amour de ses cinq enfants du fait qu'il était très souvent en déplacements et que ma Mère a été obligée de s'occuper des enfants et de la maison. La mort de ma mère l'a très profondément touché, et les dernières années de sa vie, il allait une fois par jour jusqu'au cimetière de la Forêt pour prier sur la tombe de sa femme, ma mère.

Vu de nos yeux, en 1987, nous pouvons dire qu'il n'a pas connu beaucoup de satisfactions en dehors de sa vie professionnelle. Mais telle était très souvent la vie d'une famille pauvre au début du siècle. Travailler dur six jours sur sept, se détendre un peu le samedi soir - et s'occuper de la famille et de l'intérieur le dimanche. Les "repas" pendant la première guerre mondiale se limitaient à des pommes de terre et un petit hareng. Les restrictions alimentaires étaient terribles, surtout du fait que le Gouvernement n'avait pas cru à la durée de la guerre en 1914, à peine en 1915, et ceux qui avaient de l'argent "stockaient" au détriment des pauvres. En 1916, 1917 et 1918, le rationnement fonctionnait assez bien - je me rappelle même qu'une semaine nous avons eu deux bananes à partager entre nous tous. Une banane une semaine, une autre deux semaines plus tard, tel était le rationnement de ma Mère. Quelle fête !

Mon père a vite initié les enfants à comment trouver du bois de chauffage (sans se faire prendre par les paysans hargneux), mais il n'avait jamais montré un intérêt quelconque pour le sport. Évidemment, le sport n'existait pas sur les navires - et le travail était tellement épuisant (seize heures de travail dans les machines, huit heures de repos ou de sommeil). Le football - "pourquoi courir tous après un ballon ?" et l'athlétisme n'étaient pas pratiqués sur une échelle nationale avant 1920. Pourtant, avec ses forces énormes dans les bras, il pouvait soulever presque "n'importe quoi".

Mon père est venu nous voir une fois à Elisabethville, mais pour lui le plus beau paysage du monde, c'était sa province natale Skane. Il ne parlait pourtant presque jamais de son enfance qui a du le marquer profondément, cette époque là étant encore plus rude, plus impitoyable pour les pauvres que ce que nous pouvons imaginer en 1987. Pour les enfants, il voulait "pour chacun un métier manuel honnête", et c'est grâce à ma Mère que mon frère et moi ainsi que ma soeur cadette Irène ont pu aller au lycée.

Il aimait les animaux, et les dix dernières années de sa vie, il avait un chien énorme qui donnait l'impression d'être très féroce mais qui n'avait qu'un défaut et c'était de ne pas connaître sa force !

Mon père est mort seul et souvent isolé. Il souffrait terriblement de crampes dans les jambes et d'une très mauvaise digestion, mais comme il détestait les médecins, il essayait par tous les moyens SEUL de ne pas trop souffrir. La sécurité sociale n'était pas de son époque !

Je garde de mon père le souvenir d'un homme de rigueur, absolument honnête en tout, avec la conception que le Travail est notre vie. Comme tous les marins, il croyait en Dieu, mais il n'allait jamais à l'église. Il disait une fois "c'est mon Dieu à moi et le pasteur n'a rien à voir avec moi". Je suis absolument persuadé que la mort était une délivrance longtemps souhaitée par lui.

Anders Nilsson Stalbrand, un homme DROIT.



ANDERS NILSSON STALBRAND


SOUVENIRS... l'année 1900

Il y avait, dans la fenêtre, une azalée en fleurs et un myrte verdoyant, les deux probablement rêvant des profondes forêts tropicales. Entre les deux fleurs, une toute jeune fille avec des larmes aux yeux. Son idéal, son chéri allait la quitter pour un très long voyage sur la mer, et des années se passeraient avant que les deux se retrouvent de nouveau. Personne n'avait rien promis à l'autre - mais il lui avait fait comprendre, maintes et maintes fois, combien il l'aimait.

C'était le prologue...

Göta Elf, la rivière qui débouche à la mer à Göteborg, une rivière calme et limpide fréquentée par des navires de toutes les nations, Göta Elf était mes dernières eaux douces avant le départ vers le "Grand Large". Notre séparation n'était qu'un souvenir brûlant et pénible. Il fallait commencer le vie de routine, la vie de travail. Le charme de la nouveauté pour beaucoup de jeunes... mais ce charme s'atténuait rapidement par la solitude que chaque débutant éprouve. Des jours et des nuits disparaissaient dans un travail dur, pénible souvent du fait que la tempête soufflait suivie par une chaleur tropicale.

La vie continue et un jour, notre premier port se présente devant nos yeux. Tout ce que j'ai souffert pendant le voyage est vite oublié - voyons, on est bien un vrai MARIN...

Et bientôt - départ. Mais pas vers la Suède. Loin vers des pays inconnus pour moi, des mois et des mois. L'image de la jeune fille était toujours dans mon coeur mais pas aussi vivante. Il faut le dire - la vie dans les ports du monde entier n'est vraiment pas très catholique, tout au moins pas à cette époque là. La vie sur le navire était "boulot" "boulot" et encore du "boulot", il n'y avait pas de loi sur les heures à travailler et le contact entre les hommes isolés passait par des moments dur.


IL SE PRODUISIT ALORS UN MIRACLE

Un jour, pendant mes deux heures de libres, je me suis endormi au soleil, très fatigué après une grande nuit de travail dur.

Dans mon rêve, je vois "ma petite fille" qui avait des larmes aux yeux et qui me regardait... Je me suis réveillé en sursaut avec la décision ferme : "Je retourne en Suède, fini cette vie de nomade. Tout au moins pour quelque temps...".

A notre premier port, j'ai posté une longue lettre, ma première lettre depuis longtemps... et un jour, la réponse me parvient disant :
"Je serai tellement heureuse si tu pouvais revenir..."
Et je suis rentré. Nous avions fixé rendez-vous dans une gare à Smaland, elle venant du Sud, mois de Göteborg. Et je me rappelle comment je comptais les minutes avant que mon train s'arrête. Et comment trouverai-je "ma petite fille" après toutes ces années ? Ses lettres avaient témoigné d'un esprit ouvert et sensible, détails que j'appréciais énormément.

Le train arrive...
et un deuxième miracle se produit :
Cette belle jeune femme délicieuse - était-ce vraiment la même jeune fille que j'avais abandonnée quelques années plus tôt ?
Mais oui, c'était bien vrai...
A cette minute même naquit la base d'une union de quarante quatre années et que seule la Mort a pu briser.


J'AI RÉUSSI A ENTRER A L'ÉCOLE DE NAVIGATION

où j'ai bien passé tous mes examens.

Et il fallait encore nous séparer. Mais tout était différent cette fois-ci. Elle m'écrivait des lettres d'amour qui me faisaient passer des journées heureuses, et je ne manquait vraiment pas une seule occasion pour rentrer à la MAISON.

Au Mexique, j'ai eu une grave crise de malaria, et le médecin m'a ordonné de rester au moins douze mois "par terre". Une période magnifique dans ma vie, et elle s'est prolongée de sept années, jusqu'à la Guerre Mondiale de 1914.

Depuis, ma vie a été "service sur mon navire" et de temps à autre, quelques jours de vacances à passer avec Elle et les enfants.

Les années passent... et nous nous trouvons dans une nouvelle Guerre Mondiale : 1939. J'ai survécu même ces épreuves, en frôlant la Mort bien des fois dans les convois.

Après la guerre, je venais de passer mes soixante cinq ans, et j'ai pris la décision de rester près d'Elle les années ou mois qui me restaient encore a vivre.

Trois ans plus tard, j'ai du accompagner ma camarade de vie à sa dernière demeure. Le dernier service que j'ai pu rendre à celle qui, pendant quarante deux ans comme mon épouse avait partagé les moments agréables et aussi les moins agréables.

Il me reste les souvenirs. Un souvenir merveilleux. La Foi, l'Espoir et l'Amour. Et l'Amour peut vaincre tous les obstacles.


MA PREMIERE ANNÉE DE GUERRE 1939 - 1940

Nous étions, pour une fois, en vacances toute la famille avec les cinq enfants, dans le village charmant au nom poétique de Furusjö (les pins autour du lac) mais le télégramme n'a pas tardé : "Rendez-vous urgent à Fagervik où s/s Flora termine son chargement destination New-York".

Deux jours plus tard, nous descendons le golfe de Botnie pour un voyage de routine, sans incidents. Après déchargement à New-York, nouveau chargement à Fernandina de superphosphate pour Stockholm. Tous nos papiers étaient en règle, et notre chargement n'étant pas considéré comme "matériel de guerre", nous n'avions pas à passer par le contrôle suprême à Kirkwall. Mais trois jours avant d'arriver à la hauteur des Orcades (Okney Islands, archipel au Nord de l'Ecosse) un navire de guerre britanique surgit et nous somme d'aller à Kirkwall. Pour toute sécurité, cinq marins débarquent chez nous à "Flora" et nous n'avions pas le choix. Une fois à Kirkwall ou plutôt Scapa Folw, nous avons attendu deux nuits et une journée, entouré d'une cinquantaine de bateaux qui, tous, attendaient un contrôle éventuel et la permission de continuer.

Enfin un message laconique : "Continuez votre route - erreur de vous dévier sur Scapa Flow".

Il faut dire que le contact direct avec les anglais, alors comme maintenant, a toujours été empreint de courtoisie et de bonnes manières. Nous avions souvent l'occasion de bavarder avec nos cinq "surveillants", et je me souviens surtout d'un sous-officier qui, un soir, m'a confié : "Aujourd'hui, c'est exactement vingt cinq ans que nous avons coulé la marine allemande aux Iles de Falkland (Les Malouines)". Oui, cela s'est bien passé en décembre 1914 et nous étions en 1939.

C'était des souvenirs communs même si j'étais moi-même à Montévidéo (Uruguay) et bien dans l'ambiance de guerre. Il faut dire que c'est vraiment intéressant de rencontrer quelqu'un QUI Y ETAIT en service actif et qui, pendant les vingt cinq années passées, avait vécu une vie pleine d'épisodes dans tous les coins du monde.


LE TORPILLAGE DE NAVIRES MARCHANDS

se faisait avec une énergie farouche et teutonique par "Les Maîtres après Dieu", mais nous avons quand même pu traverser jusqu'aux eaux territoriales norvégiennes, où un pilote nous a pris en charge vers le sud. Arrivés à Helsingborg, ordre de nous arrêter - les Allemends avaient miné le passage autour de Falsterbo (pointe sud de la Suède) avec des mines submergées. Rien d'autre à faire que d'aller à Limhamn et décharger une bonne partie de manière à passer dans les eaux territoriales à faible profondeur. Nous sommes arrivés à Gâddviken sans incidents.

NOEL... oui c'était dans la mer au-dessus des mines allemandes mais il était important de décharger à Stockholm et continuer dans le Golfe de Rotnie vers Sundsvall. L'hiver était très très dur, le plus terrible depuis cinquante ans. Il fallait passer quand même, malgré le brouillard, la neige et la glace, souvent derrière un brise-glace mais ceux-la n'étaient pas toujours pour nous...

Il faut dire, maintenant, que c'était INFERNAL ! Nous étions tous en service commandé pour surveiller la mer. Des mines se baladaient. Parfois un périscope "inconnu". Je veux dire que TOUT LE MONDE a fait un travail admirable ! Pratiquement sans repos, on mangeait ce que l'on trouvait. Quelle équipe admirable ! Bien sûr, on pouvait entendre de temps en temps un juron de gros calibre si un bonhomme tombait sur la couche de glace - mais, entre nous, nous les marins, nous avons l'habitude, dans notre vie de solitude et de travail pénible, de pester et jurer, sans mauvaise pensée !

Malgré tous les obstacles, nous sommes arrivés à Sundsvall pour charger, toujours pour les USA. Le froid était presque insupportable. Mais il fallait faire vite car le risque était grand de ne plus pouvoir sortir dans le Golfe où la glace était déjà épaisse.

Pour la première fois de toute ma vie de travail, un médecin m'a donné l'ordre absolu de me soigner (maux d'estomac aggravés) mais déjà à mi-mars, je téléphonais à mon employeur que j'étais "en état de reprendre le service". Ceci étant plus ou moins vrai... mais mon pays avait vraiment besoin de tout homme valide ou presque, surtout la Marine car il ne se passait pas une semaine sans qu'un ou deux de nos navires soient signélés comme "disparus en mer". Oui, c'est ça, le progrès de l'humanité - tuer, tuer sans rime ni raison humaine...

A l'époque préhistorique, si on ne trouvait pas l'homme soupçonné pour un acte criminel, on se vengeait sur sa famille ou même sur sa tribu ! Ces méthodes ne datent pas d'hier. L'hypocrisie non plus. Un trait commun revient dans tous ces conflits et c'est toujours le plus faible, le moins bien armé, le moins capable de se défendre, seul ou avec sa tribu. C'est toujours ce pauvre diable que l'on charge de tous les pêchés et qu'il faut par tous les moyens punir, ou anéantir.

Il en a toujours été ainsi... et cela continue. Je me rappelle le décret de Hérode de tuer tous les enfants mâles afin d'arriver à supprimer un seul (Jésus de Nazareth), un exemple maintes fois copié, chaque fois aussi déshonorant pour l'ordonnateur.


UN NAVIRE MARCHAND PAISIBLE

poursuit sa route sur l'Océan, et chaque homme sur le navire compte les heures avant d'atteindre le prochain port. Un port, c'est toujours un petit changement dans une vie monotone et pénible. L'homme de garde signale un objet visible à l'avant, quelque chose de petit qui a l'air de gondoler sur la surface de la mer. Quelques minutes plus tard, on voit quelque chose qui ressemble à une baleine - et un ordre sec comme un coup de trique :
"Vous avez quinze minutes pour embarquer vos bateaux de sauvetage !"
Et ensuite... une torpille qui remplit bien sa mission héroïque... une explosion assourdissante, un nuage de fumée et de pièces métalliques monte en l'air... et quelques minutes plus tard, ce navire disparaît dans les fonds profonds de l'océan, un navire paisible qui a lutté pendant de nombreuses années contre les vagues et les tempêtes, sans défaillance. Et les vagues effacent toute trace de la "bataille"...

Mais dans les bateaux de sauvetage se trouvent les mêmes hommes qui, quelques minutes avant, discutaient les idées comment passer un bon moment de détente dans le prochain port. Brusquement, la maison, le coin familial, la famille, tout paraît si loin... Le temps passe, le nombre de survivants diminue pour chaque heure, chaque jour... et bientôt, ou bien plus tard, on trouvera peut-être une embarcation vide, seul témoignage de la tragédie. N'oublions pas que le "sauvetage" dans une petite embarcation pour ne pas parler du radeau de sauvetage n'est en réalité qu'une mort lente, surtout dans tous les cas où le torpillage a eu lieu en hiver dans les mers du Nord. Très peu d'hommes survivent mais presque tous restent des invalides pour le restant de leur vie. Le seul espoir est qu'un avion de surveillance vous découvre - mais la mer est énorme et ni le vent ni les courants ne suivent des règles de navigation établies. La petite embarcation peut, en quelques jours, être portée des centaines de kilomètres dans une zone où les navires sont rares et les chances de découvertes minimes.

Ceci n'est nullement un fait isolé mais plutôt quotidien. Et cela continue... avec la seule différence que le torpillage se fait maintenant sans le moindre "préavis" ou avertissement. Tout est simplifié à une époque dominée par les instincts les plus bas, les plus abjects. Que reste-t-il de ce que j'ai appris, que Dieu nous a donné le don de comprendre, de raisonner avant d'agir ? Rien...


CONTINUONS NÉANMOINS NOTRE VOYAGE

d'un des nombreux fjords norvégiens où se formaient souvent les convois. La nuit était noire, la tempête soufflait à trente mètres/seconde, toutes les forces de la Nature étaient déchaînées comme cela se produit parfois au début d'avril. Bien entendu, dans ces conditions atmosphériques, il était totalement impossible de garder un contact entre les quarante navires constituant le convoi. Au lever du jour, nous nous voyons seul sur notre route, seul et sans la moindre protection. Oui, rien à faire, personne ne lutte contre la tempête. Nous n'avions pas le choix, il fallait continuer... et la place ne manquait pas. La tempête ne diminuait pas... et c'était peut-être notre Chance. Les navires qui avaient réussi à se regrouper en convoi ont été attaqués par des avions mais j'ignore combien ont coulé.

Nous "roulions" notre chemin, seul dans une mer terriblement agitée. Nous avons aperçu un bombardier "croix gammée" tournant une minute au-dessus de nous - a-t-il jugé notre navire comme sans intérêt, ou a-t-il vu d'autres proies ? Le fait est qu'il nous a abandonné pour retourner à sa base. Quelques jours plus tard, nous avons vu au loin quatre croiseurs légers ce qui nous a donné la certitude que notre voyage pouvait se poursuivre sans trop de dangers.

Déchargement dans deux ports mais ensuite ?


DES ÉVÉNEMENTS SE SONT PRODUITS

qui nous ont pratiquement isolé de notre Patrie pour longtemps. Tout contact par lettres ou télégrammes était totalement coupé. Après deux semaines d'attente, enfin l'ordre de nous diriger vers l'Afrique. Le hasard a voulu que nous soyons deux bateaux suédois avec la même destination, et la compagnie nous donnait une certaine assurance, car si l'un était coulé par un sous-marin, l'autre pouvait toujours en sauver quelques hommes. Bien entendu, les navires marchands ne sont jamais armés.

Tout s'est bien passé, et à la hauteur du Cap Finistère, nos routes se sont séparées. Pour nous, direction sud, et chaque jour nous apportait une amélioration du climat. Nous atteignions Dakar pour un arrêt de vingt quatre heures. Par temps de paix, ce port est fréquenté par un très grand nombre de navires marchands, étant un point important pour ceux de l'Amérique du Sud et pour ceux de l'Afrique du Sud - mais nous n'avons vu que des navires de guerre en masse ce qui changeait bien avec l'aspect normal de ce port le plus important de l'Afrique Centrale. L'entrée était bien protégée par des filets anti-sous-marins et par des champs de mines. Mais en route. Notre destination était un petit port en Gambie, un village tellement isolé que la guerre était même passée sans l'apercevoir. Pas de mines, pas de canons, pas de mitrailleuses. Une vrai idylle ! Et je souhaite que rien n'ai changé depuis ma visite là-bas ! Mais je n'en suis pas si sûr...

En effet, les "motivations" pour intervenir dans la vie privée de son voisin sous forme de "protection" sont tellement incompréhensibles que même les raisons les plus impossibles paraissent naturelles. Certains considèrent comme "faiblesse" le sens de correction ou de considération d'autrui.

Je pense quand même que notre village noir en Gambie a du fournir sa participation sous forme de soldats en service commandé pour "développer la civilisation" en Europe. Les nègres de Gambie sont des hommes solides et la France les enrôlait depuis longtemps dans son armée. Toutefois, dans notre petit port de Gambie, rien ne disait qu'il y avait une guerre atroce à quelques milliers de kilomètres, ce qui nous changeait bien agréablement. Les noirs oublient vite - et la nuit, on dansait autour des feux flambants en oubliant les problèmes ailleurs. Pour nous, d'entendre les tambours toute une nuit nous dépaysait. Cette "musique" noire rythmée avait des effets stimulants sur les noirs qui pouvaient danser sans interruption des heures et des heures. Pour moi, l'effet était plutôt endormant - mais je pense qu'il faut s'y habituer et comprendre les états d'âme des noirs.

Une chose me paraît pourtant évidente. Ce que nous appelons "la civilisation" est devenue une forme de pression ou plutôt de dépression, phénomène que je n'ai pas constaté parmi les primitifs. Les tribus organisent leur vie, et leur nature généreuse évite des problèmes de logements ou de nourriture pour les moins doués. Que nous faut-il de plus ? Oui, il faut payer des impôts ce qui oblige le noir à travailler... parfois mais pas trop. Il le fait, apparemment sans enthousiasme. Mais ils sont très nombreux ce qui fait que des gros travaux publics ont été réalisés en Afrique.


UNE FOIS CHARGE, EN ROUTE

pour une autre petit port où nous étions obligés d'ancrer à quelques kilomètres du "port" à cause des dimensions de notre navire. Les indigènes transportaient la marchandise sur des canoës bord à bord - et à nous de charger, ce qui était normal à l'époque.

De nouveau Dakar pour avoir de l'eau potable. Arrêt à Casablanca, un port propre, moderne, construit pendant les dernières vingt cinq années, avec des grues et tout ce qu'il faut pour un travail rapide. La ville elle-même a un aspect européen mais avec les variation imposées par les grosses chaleurs qui peuvent gêner. Les navires de guerre étaient nombreux, ici aussi mais ils dominaient moins qu'à Dakar.

Nous sommes maintenant début mai 1940 et notre destination initiale France posait des problèmes. Comme c'était souvent le cas durant ces années terribles, nous recevions une autre destination, en Méditerranée. Notre route coupera donc une ceinture devant Tanger et Cabo Tarifa, une région de mauvaise réputation pour tous les navigateurs à cause des invasions multiples de sous-marins. Tout le trafic sur l'Asie Mineure et l'Inde passe précisément par là ! Et des milliers de navires passent par le canal de Suez pour retrouver l'Océan Atlantique par le Gibraltar. Les "assassins de la mer" n'ont pas à attendre longtemps dans ces régions pour trouver des proies...

Nous, Flora", nous sommes seuls sur la mer, rien à perte de vue. Notre combustible était spécial pour ne pas produire de fumée. Ce fait est très important car un navire en mer n'est visible qu'à quelques miles nautiques (maximum dix kilomètres) tandis que la fumée peut-être découverte à une distance de trente à cinquante miles suivant la force du vent. Rien ne troublait notre route, et un matin nous avons le rocher Gibraltar devant nos yeux, une vue splendide dans sa solitude. Un canonnier vient nous contrôler rapidement, nous souhaite "Have a nice trip" et nous passons par le Golfe du Lion à Marseille en même temps que cette ville reçoit son baptême de feu de l'air. Sa première mais la suite, les sirènes et les canons antiaériens fonctionnaient presque jour et nuit ce qui ne nous plaisait pas beaucoup...


MARSEILLE 1er JUIN - 30 JUILLET 1940

C'est l'été avec un soleil superbe sur la Côte d'Azur. Mais personne dans cette ville gaie de Marseille pensait alors que  La mort était en route pour une grande visite désastreuse.

La  guerre durait depuis 9 mois, mais rien ne s'était produit pour créer une inquiétude particulière. Les rues et les restaurants étaient, comme d'habitude, pleins de monde, des hommes et des femmes qui manifestaient un grand intérêt pour des bagatelles.`

Mais comme un éclair dans un ciel clair... des groupes de bombardiers allemands pointaient leurs hélices à l'horizon et survolaient la ville où personne ne doutait de rien. Bientôt les bombes... La jetée C du port en a reçu plusieurs qui démolissaient les deux grands entrepôts en miettes et même un navire de Göteborg a été endommagé par un mur tombé. Les immeubles du Quai de la Bègue, pourtant habitués à des tempêtes et rixes de toute sorte, ont donné l'impression de se redresser comme pour écouter... mais seulement pour tomber par terre dans un nuage de pierre et de béton. Deux grands bateaux furent touchés à mort et il ne restait qu'à les remorquer à la plage et laisser l'incendie poursuivre l'oeuvre de démolition totale commencée par les bombes. Six jours d'incendie avant de "respecter" les instructions de couvre-feu ! Une fois de plus, les forces de la nature ont vaincu les lois humaines... Quelques bombes sont tombées à proximité de la grande Cathédrale qui ne fut que légèrement blessée.

Les autorités n'ont jamais communiqué le nombre des victimes...

Mais qui aurait pu s'imaginer que 2 semaines plus tard, la France se trouverait devant la plus grande catastrophe de son histoire ! Mais les événements se sont déroulés avec la vitesse d'une éruption volcanique. Le 10 Juin, lorsque la débandade était un fait accompli, ce jour l'Italie a déclaré la guerre à la France et à l'Angleterre...

Les "braves soldats" de Mussolini étaient alors chargés de cette mission "glorieuse" de bombarder la ville sans défense comme presque toutes les  villes. Les bombardiers italiens  "distribuaient" des  milliers de bombes de 4 000 à 6 000 mètres de hauteur, avec des effets terribles mais  sans aucun sens militaire...

L'armistice devait être signé la nuit de Midsommar 25 Juin. Mais seulement quelques heures avant cette signature, 80 bombardiers italiens faisaient encore route vers Marseille ! Mais pour une fois de plus, la Nature s'est mêlée du "jeu" humain. On peut, en effet, se poser la question si, vu sur le plan de l'éternité et de l'histoire, si le fait de tuer quelques millions d'êtres humains et d'en faire souffrir beaucoup plus, si ce fait compte vraiment...

Peut-être seulement un détail dans l'évolution du monde ?

Quoi qu'il en soit, la nuit de Midsommar nous a montré un échantillonnage de tout ce que le Golfe du Lion peut produire comme orages. Des éclairs se corsaient, le tonnerre rendait toute conversation impossible - et quoi dire ? - et la pluie était plutôt des sceaux d'eau. Toute la nuit et même quelques heures au matin. Même les "braves" aviateurs italiens ont compris - ou y a-t-il eu d'autres sentiments ? - que leurs bombes incendiaires seraient sans effet souhaité par eux, et ils sont retournés en Italie, sans avoir pu enregistrer un seul incendie, un seul marseillais de tué !

Et pendant ce temps-là, l'armistice fut signé...

Les drapeaux en berne. Et la population fut informée lentement comment ce beau pays a été sacrifié. On pouvait lire le deuil dans les yeux mais sans manifestation de violence. Tout était tellement incroyable, incompréhensible. Tout le monde était paralysé.

Toutes les routes menant à la grande ville étaient encombrées par les français, des hollandais et des belges en exode par tous les moyens de transport possibles et même impossibles, oui même des piétons. On pouvait voir ici les effets de la brutalité de la guerre contre les "non-combattants". Il y a seulement un an, j'ai vu la même tragédie en Espagne, la terreur devant le danger que rien ne justifie. Et ici dans le Midi de la France, personne ne se doutait de ce qui est arrivé. Tout le monde était bercé dans une confiance illimitée dans cette armée si fière, dans la Marine française pour ne pas parler de la ligne Maginot. Quelle déception terrible lorsque tout craque à la première attaque ! La réaction n'a pas traîné. Découragement et panique. Des hommes hystériques remplissaient les rues en quête de quoi manger, les boutiques d'alimentation se vidaient, la famine se faisait sentir. Et les rêves de pouvoir passer en Afrique du Nord furent vite anéantis. L'Allemagne avait donné l'ordre : Aucun navire ne quittera le port de Marseille !

La grande fête nationale française, le 14 juillet, tombait cette année un Dimanche. Une poignée de personnes de "rassemblaient" autour du Monument des Mobiles, deux- trois petits discours furent prononcés et c'était tout. Cela me rappelait plutôt un enterrement de pauvre. Un changement de prison n'est pas, non plus, une occasion pour célébrer. Dans la vieille Bastille se morfondaient quelques prisonniers d'État - à partir du 24 Juin 1940, toute la nation française était en prison...

Je pense aux 3 symboles - il ne reste plus que le numéro 2 (Égalité). Pour une fois, tout le monde se trouvait au pied d'Égalité.


NOTRE NAVIRE ÉTAIT RÉQUISITIONNE

par le Gouvernement français, mais on n'avait aucune utilisation pour les navires français, encore moins de ceux que les bureaucrates avaient "gelés". Il n'y avait aucune chance de quitter Marseille, vu les circonstances, et il ne nous restait qu'une chose à faire - d'attendre... Et fin Juillet, ordre d'appareiller d'urgence, d'aller à Huelva en Espagne avec un chargement pour - La Grande Bretagne ! Vraiment, nous nous sentions tous gâtés devant la nécessité de retourner sur le champs de bataille... mais n'importe quoi sauf de rester à Marseille et mourir de faim. Enfin, Huelva n'était pas mieux - au contraire, mais la misère était si solidement installée dans ce port que tout le monde se transformait en - mendiants ! Sans complexe ni modestie. Tout le monde expliquait qu'il avait absolument besoin d'un morceau de pain ou un vêtement, une paire de chaussure ou un morceau de savon, tout manquait... Une nouvelle preuve que la GUERRE peut transformer l'être humain, le dégrader à un niveau animal.


NOTRE CHARGEMENT DE SULFATE DE CUIVRE

une fois terminé, en route pour l'Angleterre Est. Les sous-marins allemands et même italiens formaient barrage dans l'Océan et se dépassaient dans les "exploits" de couler des navires paisibles, exploits glorifiés par leurs journaux patriotiques - mais inoubliables pour nous qui avons perdu tant d'amis à ce "jeu".
Afin d'assurer un minimum de sécurité, nous sommes d'abord descendus à Gibraltar.


GIBRALTAR, UNE FORTERESSE ANGLAISE

et c'est heureux, car partout où l'UNION JACK flotte, nous les navigants et marins, pouvons nous sentir relativement tranquilles, même dans un monde qui déraille" de plus en plus. Je ne veux pas dire que l'on se sent en sécurité absolue, non, loin de là, mais on est libre de toutes ces tracasseries qui paraissent inséparables de la mentalité de "La Nation choisie par Dieu".

C'est merveilleux de voir Gibraltar de Tarifa. En approchant le port, nous avons légèrement dévié par inadvertance - aussitôt un éclair du "Rocher", une balle de canon juste devant notre "Flore". Arrêt - et quelques minutes plus tard, un pilote arrive pour nous conduire vers notre place pour ancrer, où nous sommes restés 10 jours pour former le convoi.

Actuellement, la forteresse reste fermée pour tout étranger, mais du fait que ma présence était requise pour les discussions autour du convoi à former, j'ai pu m'offrir quelques heures pour voir de loin ce "monument". On était en train d'évacuer les femmes et les enfants et tout personne "inutile pour la défense", certains pour Madère, d'autres pour la Grande Bretagne ou encore plus loin. Seuls les soldats sont restés - et si l'ennemi osait une attaque, il aurait eu une réponse mortelle.

Le Rocher est un bloc compact, 450 mètres au-dessus de la mer et susceptible de recevoir un bombardement sans trembler. La ville, évacuée, se trouve sur le versant Ouest et est vulnérable en cas d'attaque aérienne ou même pat tir de la ville espagnole La Linea - mais ceci est sans importance sur le plan militaire. Des projecteurs éclairaient de temps à autre une région autrement totalement dans l'obscurité. C'est d'ailleurs un spectacle impressionnant de voir les projecteurs dessiner, sur le ciel, des figures plus ou moins géométriques, un feu d'artifice jusqu'à 5 000 mètres de hauteur pour capter des bombardiers éventuels. Des tirs de barrage Mais je n'ai vu qu'une fois un avion touché - il plonge plusieurs centaines de mètres et disparaît ensuite... Mais la nuit suivante, lui ou son frère était là, sans craindre les canons.

En Espagne, nous avions entendu des bruits disant que la Flotte Anglaise avait été sérieusement touchée, notamment les géants HOOD et Royal Oak. Mais un soir, j'ai bien vu un escadre anglais entrer dans le port - et qui était en tête sinon - HOOD ! le bruit court... mais il n'est pas toujours digne de confiance... Il marchait tout seul, et apparemment sans blessures. Le lendemain, tout l'escadre partait, direction Est, et je suppose que les italiens auraient pu constater quelques jours plus tard que ces navires anglais qu'ils avaient "coulés" étaient bien là pour renouveler une leçon aux italiens.

Oui, en Italie, on allumait des feux de foie pour célébrer la chute de - Malte. et aussi pour crier victoire que "Gibraltar est anéanti" et que les convois n'osaient plus sortir... grâce aux exploits des "seigneurs de Dieu" en collaboration avec "Il Duce". Vraiment de quoi remercier La Madona. En attendant la version exacte et bien plus pénible pour les italiens spontanés... L'Italie qui avait "osé" déclarer la guerre à la France à l'heure où se pays signait l'armistice était sans défense...


NOTRE SÉJOUR A GIBRALTAR

est terminé. Les 45 navires se trouvent en place. le capitaine et moi-même sommes  convoqués au bureau de l'Amirauté qui nous donne des instructions écrites à 17 heures. C'est une vue impressionnante, 45 navires à parte de vue, tous la même route et à une vitesse uniforme de 8 noeuds. Certains auraient pu aller deux fois plus vite - mais cela n'était point le problème - il fallait tenir sa place et suivre à la lettre les instructions reçues. Notre navire avait des problèmes de respecter les 8 noeuds - mauvais carénage - et on nous a bientôt abandonnés, seuls sur l'Océan. Ce cas était pourtant prévu par les instructions. Pendant 10 jours, nous étions seuls ce qui ne nous a pas empêché d'approcher l'Irlande où les eaux étaient infectées par les allemands. Mais, un peu à notre surprise, rien ne s'est passé et seul sur la mer relativement calme, nous avons contourné l'Irlande. Nous ne marchions pas vite - mais ce n'est pas sans une certaine fierté que nous avons approché Rotlin Island ce qui signifiait que même ce voyage tirait vers sa fin. De monter Clyde était un jeu d'enfant pour nous, et nous avons pu ancrer 14 jours après notre départ de Gibraltar.

Les autres navires du convois sont arrivés sans incident, et il ne restait plus qu'à répartir les navires suivant leurs destinations . Mais "Flora" est resté - notre vitesse a été jugée inférieure à ce que le chef du convoi exigeait.

Autour de nous sur Clyde se trouvait bien 500 000 tonnes de marchandises en attente de déchargement ou convois à venir. Et pourtant, la radio allemande informait le monde entier que les allemands avaient coulé la totalité de la flotte anglaise ainsi que les navires en rade. Des mensonges sous la couverture de "patriotisme".

Après 10 jours, ordre d'aller à Mersig, en traversant la Mer d'Irlande, un terrain de chasse préféré par les bombardiers allemands. Une fois arrivés devant le phare de Liverpool Bar, nous avons ancré - et c'est la nuit même que le gros bombardement allemand de l'Angleterre a commencé. Nous avons du aller dans les docks de Birkenhead (début Septembre) pour le déchargement  et chargement sur rail pour traverser le pays jusqu'à la destination de l'autre côté, donc vers la Mer du Nord.


QUATRE SEMAINES DE BLITZ-KRIEG

étaient maintenant notre "cure". Les hurlements affreux des sirènes se faisaient entendre une fois, même dix fois par jour, et à travers cet orchestre infernal, nous pouvions entendre les moteurs des bombardiers lourds, juste au-dessus de nos têtes. Les canons crachaient sans arrêt, les projecteurs illuminaient le ciel en long et en large, les explosions étaient partout, en ciel mais surtout par terre où les effets étaient terribles. Une maison sautait en l'air, parfois tout un groupe ou même un quartier entier suivant les bombes. Une fois les aviateurs disparus de l'Horizon, les canons se sont tus et nous entendions le signal tellement espéré "Danger passé"... mais parfois, 10 minutes plus tard, nous pouvions entendre une sorte de "miaulement en crescendo", ce qui signifiait que tout recommençait...

L'horizon était éclairé par des bâtiments en feu, des incendie partout et le fameux "couvre-feux" ou "black-out" comme nous disions, ne servait pas à grand-chose ! Pas de problèmes pour les bombardiers de s'orienter pour déverser d'autres bombes. Un cirque d'enfer continuel.

Pendant 4 semaines, je me suis endormi, chaque nuit, au bruit des canons placés un peu partout dans notre port. Les phares, les bombes éclairantes, les projecteurs, un ensemble qui vous rappelait plutôt "Coney Island" une nuit de gala. Mais lorsqu'une série de bombes explosait à proximité, c'était vivement la fin des illusions... et un retour pénible à la cruelle réalité. Les bombes les plus néfastes étaient celles à réglage chrono qui pouvaient pénétrer quelques mètres dans la terre avant d'exploser avec un effet affreux. Pour désarmer ces bombes, il fallait vraiment tout le sang-froid des spécialistes anglais du fait que personne ne pouvait prévoir l'instant exact où l'explosion allait se produire... Le pourcentage de réussite était grand - mais il y avait quand même beaucoup de cas où tout sautait.

Une fois le déchargement terminé, nous sommes entrés en dock au carénage, vraiment indispensable. Ensuite en route pour un autre port pour être démagnétisé pour nous protéger contre les mines magnétiques. Au port de Talbot ; nous avons chargé du charbon pour Madère. De nouveau en convoi le long chemin à travers la Mer d'Irlande cap Nord latitude 58. Après le passage de Fair Head, nous avons constaté que nous étions 35 navires dans notre convoi... Mais nous étions aussi accompagnés de sous-marins qui, chaque nuit, réduisaient notre groupe. Il fallait pourtant continuer, coûte que coûte. Au 15° Ouest, nous n'étions que 22 navires... et c'était notre point de dislocation car les autres étaient à destination des USA. Un autre navire suédois s'est joint à "Flora" en route pour Funchal. Donc, cap Sud. Mais nous y sommes arrivés seuls - l'autre navire ayant été "invité" par un sous-marins italien de mettre les bateaux de sauvetage en mer et d'évacuer le navire dans un délai maximum de 15 minutes. Ceci était la fin de l'existence de "Megy"...


UN BATEAU DE SAUVETAGE FUT TROUVE

par un navire de guerre portugais et l'équipage a été transporté aux Iles Azores pour être canalisé sur Lisbonne. L'autre bateau a pu poursuivre tant bien que mal vers l'Est et après avoir parcouru environ 1 000 miles en ramant et à la voile, il a pu toucher terre au Portugal.

Nous étions à Funchal et la vie était belle, pour changer. un cargo grec s'y trouvait aussi avec des victuailles pour la Suisse. Mais l'Italie venait de déclarer la guerre également à la Grèce, et il fallait faire de la place au quai au navire grec. Un croiseur portugais se mettait carrément devant l'entrée du port pour le boucher.

Pour nous, notre équipage a refusé de travailler, étant donné les circonstances, et ils ont tous quitté le navire. Ceci est leur droit du fait que nous nous trouvions dans un pays neutre. Le capitaine, le 1er officier et moi-même étions donc seuls sur notre navire, et nous avons attendu des semaines afin d'obtenir de notre Cie Maritime en Suède de l'argent.

Nous avions des instructions de partir à Lisbonne pour prendre un chargement pour l'Angleterre - et il fallait donc d'abord trouver un équipage ; ceci n'était vraiment pas facile sur cette île où les hommes ont d'autres opinions de la vie sans chercher une aventure inconnue pour eux. "Les plaisirs de la guerre" - rien pour eux... Après une semaine de recherches, nous avons quand même pu ramasser une bande de véritable vagabonds qui déclaraient qu'ils n'avaient rien contre une balade jusqu'à Lisbonne à la condition expresse de ne pas avoir à travailler ! Tout arrive... et nous sommes tout de même arrivés à Lisbonne où le chargement a démarré aussitôt. Notre "équipage" de Funchal avait disparu en une heure de temps ! Et nous étions donc seuls, une fois de plus, les 3 chefs du navire.


NOUS AVONS DEMANDE D'AUTRE RELAYES

et en attendant, nous nous sommes occupés de faire viser nos passeports et une autorisation de partir. Lisbonne, Madrid et Berlin étaient les 3 autorités "clés". La légation de l'Allemagne nous a fait subir un interrogatoire sévère mais finalement, on nous a donné le feu vert.

Trois jours plus, nous avons nos places dans un avion Lufthansa en route pour Madrid où nous avons enfin passé une nuit de repos. Barcelone, Lyon, Stuttgart et le soir Tempelhof. Berlin en Décembre n'est vraiment pas une ville accueillante. Tempête, pluie et l'obscurité (le black-out). Noël n'était pas loin, les permissions de fin d'année avaient commencé et les rues ainsi que les bistrots étaient pleins de soldats plus ou moins ivres. Je suppose que pour eux, sans le savoir, c'était la toute dernière liberté et "jouissance" dans ce monde...

Berlin-Stralsund n'est qu'une journée par le chemin de fer. Après une nuit à Stralsund, la petite étape à Sasnitz et à midi... nous étions sur NOTRE ferry "Drottning SOFIA". J'ai quitté "Das grosse Vaterland" sans le moindre regret ni désir d'y retourner. Mais quelle joie merveilleuse de se trouver si près de ma patrie, de prendre un repas culinaire - mon premier depuis 6 mois ! - et de se sentir comme un être humain, libre, détendu.

A Trelleborg, pas de formalités. Cela faisait un bail que nous n'avions pas été reçus si amicalement par une Autorité quelconque !

Et la veille de Noël 1940, enfin avec ma famille.

Une année pleine d’événements se termine ainsi.

Depuis, j'ai eu des nouvelles plutôt pénibles de mon navire pour lequel on avait fini par trouver un nouvel équipage. Ils sont partis, 19 hommes n'ont jamais retrouvé la terre - le navire a été torpillé et seulement deux hommes ont pu être sauvés miraculeusement...


VOILA COMMENT J'AI PASSE UNE ANNÉE

de guerre, grosso modo. Des milliers d'épisodes restent greffés sur mon cerveau - mais peu en sont réjouissants. Je garderai toujours l'image d'une jeune fille d'environ 20 ans, casée dans une vieille voiture de rescapés à Marseille. Immobile, sans bouger une mine. Je l'ai vu et revu des heures après - toujours immobile. Je pense que sa tête était pleine d'horreurs récemment vécues.

Une autre fois, j'ai dû accompagner, à Birkenhead (GB), un marin à l'hôpital. Tout le quartier avait été effacé pendant la nuit, ce qui n'empêchait pas les enfants de courir et de jouer dans les braises encore fumantes. Au milieu de la rue se trouvait... la moitié d'une porte calcinée. Un homme âgé est passé, soulevait les débris de porte lorsqu'il entendait une voix féminine d'un groupe à côté :

"Enlève tes pattes de ma porte - c'est tout ce qui me reste de mon mobilier..."

Tout le monde a éclaté de rire ce qui soulage. Et c'est un point qui caractérise les anglais, du calme tranquille. Un tel peuple ne peut-être vaincu !

J'ai vu Londres et le quartier commercial autour de "Victoria Monument". A perte de vue, des ruines par terre. Adolf avait bien réalisé sa phrase démente : "Tout sera effacé".



ANDERS STALBRAND



LES CONVOIS

Un navire se trouve en chargement dans un port nord-américain, et lorsque tout est terminé, le capitaine reçoit l'ordre de partir dès le lendemain matin à un point "longitude "a", latitude "b"." Ici convergeront un certain nombre de navires de différents ports mais avec destination similaire. Chaque capitaine reçoit un plan de convoiement indiquant notamment la place dans le convoi à former. Cette place est à respecter ainsi que la vitesse donnée. Le navire de tête reçoit ses ordres des escorteurs et doit les transmettre aux autres navires.

En cas d'attaque par torpille ou bombes, certains navires ont des ordres d'intervenir, les autres ne doivent en aucun cas s'arrêter.


LE CONVOI DÉMARRE

lentement Cap Est pour que tous les navires puissent suivre à la place désignée. Jour après jour. Mais une nuit, on signale "Attaque par torpille à prévoir". Tout le monde est totalement réveillé et prêt à tout.

D'abord une violente explosion suivie par trois autres. L'ordre dans le convoi est modifié - quatre navires n'ont plus besoin de leurs machines... La loi éternelle de la pesanteur se charge d'eux pour les conduire à leur dernier repos... L'équipage et particulièrement le personnel en charge de la machinerie accompagnent souvent leur navire dans ce dernier plongeon...

Les navires restants poursuivent leur route jusqu'à  la nuit suivante, nouvelle attaque et lorsque l'aurore point, nous constatons que deux navires ont disparus au fond. Ainsi de suite. Le cap Nord-Est, et torpillage la nuit qui réduit notre nombre initial de 45 navire à seulement 25. Nous avons fait les deux tiers de notre route, presque toujours par mer très agitée et tempête.

L'optimisme reprend et nous commençons à compter combien de jours il nous reste cette fois-ci. Mais, en plein jour, un escadre de bombardiers fonce sur nous. Mais une attaque le jour n'est pas pareille aux attaques nocturnes des sous-marins que nous avons en horreur. Les bombardiers se montrent presque toujours le jour - et un danger que nous voyons est toujours plus facile à maîtriser nerveusement. Il faut dire aussi que la vitesse d'un bombardier est grande et leur survol d'un navire est une question de secondes. Évidemment, ils peuvent revenir en une nouvelle vague - mais pas toujours...

La TORPILLE est l'ennemi mortel du marin !

Cette fois-ci, les bombes sont tombées sur deux navires et le tir de nos convoyeurs a descendu un avion. Les navires touchés ont quand même pu continuer tant bien que mal.

Les avions sont revenus encore deux fois mais le feu soutenu par nos escorteurs les a empêché de viser "correctement" et aucun navire n'a été touché.

Nous poursuivons notre route. Brusquement, une forte détonation et un navire a déjà disparu dans les profondeurs. Une mine !

Reste pour nous, les survivants, à traverser la région au Nord-Ouest de l'Irlande, un rendez-vous pour les sous-marins et les bombardiers allemands. Il s'y ajoute également les tempêtes et le brouillard sans oublier les marées très fortes par là. La navigation dans ces eaux est souvent terriblement difficile.

Oui, c'est presque un miracle que malgré tous ces pièges mortels, des milliers de navires convoyés ont pu arriver au bon port !

Mais vous ne pouvez pas vous faire une idée de ce que c'est...



ANDERS NILSSON STALBRAND

Réflexions poétiques


Nous avançons lentement, étape par étape
Mais personne ne connaît notre destination finale

Nos intentions de tendresse
se manifestent presque toujours trop tard
Mais une fleur blanche
sur une main refroidie
nous soulage un peu

Le vent du Nord souffle
autour de notre maison ce soir d'hiver
Et les enfants posent le nez contre la vitre glaciale
en regardant avec chagrin la voûte étoilée
Ils pensent à leur Maman disparue
Elle était toujours si gaie, si gentille
Mais elle n'est plus avec nous
et le vide est lourd à porter

Toutes les routes, toutes les rues
conduisent vers le même point
Tu peux voyager ou marcher seul ou à deux
mais les derniers pas, tu seras toujours seul
Il faut donc se rappeler qu'il faut apprendre
à supporter les épreuves en solitaire

Je suis revenu à mon village natal
mais il a bien changé depuis mon départ
Rien n'existe plus de mon temps,
les idylles de ma jeunesse

Ma déception était grande de quitter encore ce pays
qui m'a vu naître
Pourquoi faut-il démolir tout ce qui est ancien,

Qui, qui peut le dire...



ANDERS NILSSON STALBRAND



Un jeune marin doit commencer très tôt
son métier sur les Océans
Il ne sent pas
  si sa mère et son père ont du chagrin
Il est comme ensorcelé par la Mer
où se trouve la Liberté de ses rêves
Mais lorsqu'il a brûlé ses ailes,
c'est déjà trop tard pour changer de métier
Loin d'ici où la tempête hurle
et les vagues débordent tout
son existence se terminera
dans les écumes de la mer
Ni fleurs ni couronnes dans la tombe
Ni larmes non plus
Car personne ne sait
Où son navire a coulé




A  MON ÉPOUSE DISPARUE
                               (Paroles prononcées devant la tombe)

Quelques paroles pour dire que nous remercions Dieu
qui nous a permis de garder si longtemps parmi nous
Tu as senti la grande joie de voir naître des enfants
et des petits-enfants
et tu as inculqué ton esprit à nous tous
Nous ne t'oublierons jamais
En ce mois d'avril, tu as changé ta vie terrestre
contre une autre qui nous échappe
Toute ta vie, tu t'es sacrifiée pour nous
et seule La Mort a pu mettre une fin à ton Amour pour nous
Tu es venue d'une forêt de Blekinge,
tu nous quitte ici à Smaland
et que ta petite fleur favorite MYOSOTIS
t'accompagne sur ton dernier voyage.
"NE M'OUBLIEZ PAS" Myosotis
Le 3 Mai 1948      Anders Stalbrand



ANDERS STALBRAND

Souvenirs poétiques


J'ai éprouvé beaucoup de plaisir
de visiter tous les coins du monde
de voir de beaux paysages ailleurs
et de conserver de beaux souvenirs de ces visites
Pourtant, le jour le plus merveilleux,
c'était toujours lorsque nous faisions route vers la Maison
A mon épouse chérie
qui m'est restée si proche
et dont je garde toujours l'image dans mon coeur

                                     La Havane, 10/03/1925

Personne ne vous fait cadeau du "chez moi"
même pas si la Fortune vous sourit
C'est quelque chose que nous bâtissons
d'année en année
A travers des joies et des déceptions




Pour EMMA

Tu as vécu pour ton mari et pour ceux
à qui tu as donné la vie
Tu as donné tout donné en amour merveilleux
Mais maintenant tu as disparu de notre temps, de notre vie
Oh Maman, oh Mon épouse, ton rayonnement restera toujours

Enfants et amis, vous qui restez ici
lorsque je serai loin des bruits de la terre
Lisez alors ces mots sur mon front pâle :
Je veux vous retrouver tous auprès de Dieu

C'est comme si le soleil a disparu de ma vie,
Rien ne sera plus jamais comme avant
Tes yeux ne me regarderont plus
Mais je ne t'oublierai jamais




ANDERS STALBRAND


                             A  notre Maman...

Tout ce qui était le plus beau, le meilleur,
Tu l'as donné à ton époux et à tes enfants
et notre chagrin est grand
maintenant devant ta dernière demeure

Maman, tu était notre rayon de soleil
qui nous manque tellement maintenant
nos larmes tombent
mais tu n'est plus avec nous

Nous garderons silencieusement ton souvenir
et nous pensons que Dieu te donnera sa récompense
Merci de tout ce que tu as fait
personne au monde nous était si cher
Merci, chère Maman, merci et à bientôt

                                    Anders




ANDERS STALBRAND

Réflexions poétiques


Il existe un proverbe que je n'aime pas du tout -
"Lorsque la mangeoire est vide, les chevaux se mordent"
Et pourtant, c'était le moment où notre Amour était merveilleux
Nous étions pauvres et nous avons souffert
Mais notre amour restait intact

De vieillir c'est de voir des fils se casser
et chaque souhait crée sa propre tombe
Lorsque j'étais jeune, je savais tout sur tout
et maintenant - tout ce que je sais
C'est que tout ici est une faveur divine

Nous aimons les premières feuilles
et aussi les dernières
C'est de plus en plus notre vie
de créer des espoirs- et de les perdre

Que devons nous compter et retenir -
Les jours et années de bonheur
ou la minute de douleur ?

Lorsque l'arbre tombe de sa hauteur,
nous entendons des échos partout
mais lorsqu'une timide violette
se meurt dans la mousse
où personne ne l'a vue
C'est seulement lorsque le doux parfum nous manque
Que nous nous réveillons
Pour nous apercevoir que nous avons perdu un trésor



A  MAMAN

Te souviens-tu d'elle
son dos voûte
son front plissé par soucis
son regard qui aimait rester sur le tien en tendresse
son sourire qui réchauffait
et nous rendait si heureux











ANDERS STALBRAND

            Poésie


Un Océan qui m'a souvent porté
les vagues qui m'ont bercé
Peut-être loin derrière l'horizon
où ciel et mer s'unifient
Se trouve la plage de bonheur
que mon oeil a cru apercevoir
là où mon désir inquiet sera calmé
Et la paix retourne dans mon âme
Même si le cap a souvent changé
Je pourrai enfin jeter l'ancre

Sommeil après travail dur
Calme après disputes et conflits
Le port après la tempête
La mort après la vie
Quel bonheur merveilleux

              (Après mon plus long voyage 39 jours de Skutskar-Baltimore 1924)



Ce que j'ai pensé, ce que j'ai fait
ne pèse pas lourd
Mais il est quand même possible
Malgré mes forces faibles
Que j'ai pu planter une graine
Qui se développera peut-être
car je crois
que l'amour ne peut jamais mourir

Le jour se meurt, la nuit occupe le ciel
Bientôt, les étoiles éternelles seront visibles
Mais je ne regrette pas le jour qui fuit
La nuit qui approche ne me fait pas peur
Car lorsque l'Amour a traversé le monde
Une miette en est aussi tombé dans mon coeur

Lorsque le soleil se cache derrière les montagnes
et annonce le soir du sixième jour
Le travailleur rentre pour se reposer
Et le Dimanche du Seigneur entre dans sa maison

Ce qui coûte peu être payé
Ce qui a été acheté une fois pour encore être acheté
Mais la confiance d'un coeur fidèle
n'est ni à vendre ni à acheter
C'est vraiment un cadeau unique







Traduction de 2 lettres adressées à ma soeur Ethel :

Jönköning le 20 Mai 1949. Ma chère Ethel. Je te prie de croire que je partage de tout mon coeur la perte que tu as subie. Ton télégramme vient de me parvenir et je sais bien comment tu le sens. Même si tu t'y attendais, le chagrin est toujours profond. Mais Dieu te consolera comme il le fait toujours.

Et tu as surtout tes petits enfants Anita et Leif qui, eux aussi, ont subi une perte irremplaçable, et ils ont besoin de toute la consolation que toi seule pourras donner.

Je prie Dieu pour votre protection, mais si je peux faire quelque chose pour toi, tu me le diras.
Ton Papa




Ma chère Ethel,

Je te remercie chaleureusement de m'avoir écrit pour ce jour (16 Octobre, date de naissance de ma mère) un jour qui pour moi est bien plus important que Noël.
...
Tout reste encore en fleur ici mais bientôt c'est fini - c'est la vie qui est faite ainsi.

Je reviens du cimetière où tout reste beau. Cordialement




MON PERE A TOUJOURS LUTTE

contre ce qu'il désignait comme "L'Injustice dans tous les domaines". Pour éviter tout conflit (prévu) avec notamment mes deux soeurs Milly (la plus "faible") et Irène (la plus agressive), il m'avait demandé, 3 ans avant sa mort, si je ne voulais pas lui acheter la maison familiale, et j'ai fini par accepter.

La vente était parfaitement légale, et le paiement avait été déposé en banque.

Il y avait ensuite un testament car mon père voulait éviter que les deux filles "contre" (Milly et Irène) profite de quoi que ce soit, d'autant plus qu'elles étaient plutôt riches et "bien mariées". Sait-on comment les "conflits de famille" naissent ? Non ! pas plus qu'un ignore comment y remédier...

Le Notaire qui s'est occupé des formalités d'héritage écrit en date du 7 Août 1948 à ma soeur aînée Ethel :

" Tous les documents sont enfin signés par tous, ce qui n'a pas été un travail facile.
A vous, un grand Merci de tout ce que vous avez fait pour votre père de son vivant.
Il était l'homme le plus honnête que j'ai jamais rencontré, lui comme votre mère, une femme de caractère noble que je n'oublierai jamais.
Je vous remercie de tout mon coeur de votre esprit ouvert..."

Mon père avait commencé sa longue vie (85 ans) avec deux mains vide mais avec une capacité d'apprendre peu commune. Il a su gagner sa vie par un travail extrêmement dur, souvent pénible. Grâce à la gestion de ma mère, la situation économique de la famille s'est successivement améliorée - mais nous n'avons même jamais pu rêver d'une voiture automobile, encore moins de résidence secondaire... Pour ma mère, l'essentiel était de bien élever les 5 enfants et de leur donner à manger correctement tous les jours. Quelle différence avec la conception de la vie actuellement !